Obtenir un arrêt de travail de vingt et un jours n'est pas une légende. C'est une réalité donnée avec rage et à l'aide d'une arme blanche. La juge et le procureur se bouchent les oreilles pour ne pas entendre les mots «circonstances atténuantes», elles sont plutôt aggravantes car on a évoqué une baïonnette qui est la plus redoutable des armes blanches. Amine Kassi est inculpé de coups et blessures volontaires à l'encontre de Abdelhamid K. qui brandit une cessation de travail de vingt et un jour. L'arme blanche est aussi désignée. Le détenu parle de trois gus qui s'en étaient pris à lui. - J'étais seul et ils étaient trois et plus je crois... - Et le couteau de cuisine est tombé du ciel ? demande Hadj Barik Rabah, le président. - J'étais entré le prendre de la cuisine, répond le jeune Amine affolé. - Voilà. Vous êtes monté vous armer d'un couteau de cuisine pour supprimer votre jeune adversaire, tonne le juge qui n'arrive pas à avoir devant lui Djelloul, le témoin des faits, un témoin qui ne veut probablement pas se mouiller dans cette sale affaire. - Je ne l'ai pas bien touché. J'ai été heureusement maladroit, reconnaît l'inculpé qui refuse que la victime Abdelhamid parle de baïonnette ! - Même un coupe-ongles est une arme blanche au cours d'une bagarre, dit sentencieusement le magistrat. Le frère de la victime donne sa version des faits : «A un moment de la rixe, l'inculpé est monté chez lui, il est redescendu armé d'un couteau. J'ai pris la fuite. Djelloul, l'oncle maternel de l'inculpé, allait plus tard intervenir mais d'une manière touchante. Il a tenté de calmer le neveu, aujourd'hui détenu, dit le frangin. Pour la victime, maître M'hamed Chemlel, débute doucement sa plaidoirie. Il impute tout à l'inculpé. «Il n'avait aucune raison de s'emporter, et plus grave, le grand fautif aura été le tonton, ce Djelloul qui avait commis une grave faute en remettant à Amine la baïonnette qu'il avait pourtant réussi à enlever deux minutes plus tôt. Oui, monsieur le président, mon client a reçu un gros coup avec vingt points de suture. - Trois ans de prison ferme et une amende de dix mille dinars, mâchonne Koussa, le procureur. Maître Aoued Kourd, l'avocat de Amine, va être vite édifié par la question de Hadj Barik : «Amine, aviez-vous ou non donné un coup de couteau ?» Le détenu répond, oui. «Est-ce le seul Amine qui a joué au couteau ?» L'inculpé perd soudain de sa superbe en voyant la mine renfrognée de Barik avec pourtant sa tronche sympa. Il a deviné que le tribunal a situé sa responsabilité et donc qu'il va envoyer des signaux au... diable qui doit lui faire de l'œil depuis la taule. Et ce sera effectivement fait à l'issue de la mise en examen lorsque le président décide d'infliger la lourde peine de deux ans de prison ferme et le chapelet d'amendes qui suivent généralement en matière de dommages et intérêts. Maître Chemlel, ravi du résultat, va faire voir sa jolie dentition blanche pourtant bien mal en point avec cette sacrée maudite carie qui se cache entre les lèvres et la robe... noire car, n'oublions pas, la carie a la même couleur que la robe d'avocat. Tiens !