Rachid K. est un détracté de 35 ans qui a poignardé une jeune fille à Aïn Allah. Me Fadel, son avocat, plaide la démence ou presque. Bechiri, la juge, est dans son jour... Nadia, la victime, une menue petite ado, a la trouille car elle craint encore son agresseur. Elle regarde plutôt le témoin qui est invité par Sihem Bechiri à rejoindre le coin où il devra attendre son tour pour passer à la barre. Rachid dit tout de suite qu'il est malade. - Vous prenez des psychotropes? - Non, répond l'inculpé qui annonce qu'il est maçon et que c'est un délinquant primaire. Il raconte l'agression: «J'avais sur moi un couteau. Je n'ai jamais vu cette jeune fille. En descendant du bus, je ne sais pas ce qui s'est passé. Je l'ai entendue crier. Je jure que j'ignore quelle force m'a poussé vers l'agression», a récité le détenu. Nadia raconte la même version sauf lorsqu'elle dit «non» à la question de la présidente concernant la tentative de vol du sac à main. D'ailleurs, Me Fadel suivra, en fin d'audience, la mise au point de la présidente concernant l'état de santé de l'inculpé. «Il arrive à reconnaître les siens. Il est conscient. Dire que c'est un malade, c'est aller un peu vite en besogne», mâchonne la présidente étant une magistrate que l'on ne peut manipuler par d'intempestives déclarations. Elle a été avocate avant de choisir la stabilité et les aventures dans la recherche de la vérité. Elle sent même que le détenu joue la comédie d'un aliéné. Le témoin, un père de famille, se rappelle qu'il n'est intervenu qu'au troisième coup. «Je me suis jeté sur lui. J'étais dépassé lorsque j'ai vu l'agresseur donner les deux premiers coups avant de réaliser l'horreur. Il m'a bousculé...». -Que s'est-il passé au moment de l'agression, articule la présidente. - Je ne sais pas, rétorque Rachid qui avoue s'être enfui après qu'il se soit aperçu qu'il était à terre. M'henna Ouamara, le PR, entre dans les débats: «Maçon, résidant à Alger depuis dix ans, vous affirmez être malade. Avez-vous sur vous un certificat médical attestant de votre état psychologique?» La réponse est non. S'adressant à la victime, le procureur demande l'incapacité: vingt et un jours. «Ce n'est surtout pas les coups qui m'ont fait mal. J'ai raté mes examens. Je suis traumatisée». Me Saddek Chaïb, le délégué du bâtonnat d'Alger, se lève spontanément et effectue les demandes que la victime a été incapable d'exprimer. Le représentant du ministère public est debout. Il plaide l'affaire en rendant un vibrant hommage au témoin-sauveur de la victime. Puis, il dramatise au plus haut point en affirmant que l'inculpé qui n'est pas malade, a voulu tuer la jeune étudiante. Voulant visiblement enfoncer Rachid, il réévoque le port d'arme. «Vous êtes maçon, que faisiez-vous avec un couteau sur vous? Aviez-vous besoin d'une arme blanche pour monter dans un bus?» Il réclame un châtiment à la hauteur du geste et des coups assénés: cinq ans d'emprisonnement ferme et une amende. Me Ahmed Fadel dit de suite son amertume d'assister à ce drame. «C'est une affaire inhabituelle. Oui, il n'y a ni vol ni tentative de vol. il n'était ni sous l'effet de l'alcool ni de la drogue. Il ne l'a pas draguée. Elle vous l'a dit. Il a donné des coups sans aucun motif. Ce n'est pas un criminel. Il mérite de larges circonstances atténuantes car les faits ne ressemblent pas étrangement aux autres affaires de coups et blessures volontaires», a ajouté l'avocat qui a trouvé exagérées les demandes du représentant de la société. Passant au «poignard», il le décrit plutôt comme un canif et demande au tribunal d'envoyer ce malade en soins, pas en prison. Répliquant au sujet du «canif», M'henna demande au témoin de dire ce qu'il a vu dans la main de l'agresseur. «Le parquet illumine le tribunal. Il n'est pas ici pour éblouir, madame la juge». Cela suffit pour qu'en fin d'audience, Bechiri envoie l'agresseur pour un an ferme.