Le président du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), Mohamed Saïd, vient d'être réélu à la tête du parti à l'occasion de son congrès ordinaire. Ancien candidat à l'élection présidentielle de 2009, ancien ministre de la Communication, il est l'une des personnalités politiques les plus proches du Dr Ahmed Taleb Ibrahimi. Dans cette interview qu'il a bien voulu nous accorder, il parle de la désignation de Taleb Ibrahimi comme président d'honneur du PLJ, des élections législatives du 4 mai prochain et des alliances entre islamistes. Commençons notre interview par l'actualité qui a marqué votre parti et qui préoccupe les observateurs de la scène politique. Après plusieurs années d'absence, M. Ahmed Taleb-Ibrahimi est désigné comme président d'honneur de votre parti. A quoi rime ce retour dans une pareille conjoncture politique ? Ce n'est ni un retour, ni un départ même si l'annonce de la présidence honorifique a été accueillie favorablement par de larges couches de l'opinion publique. Les congressistes du PLJ ont pu difficilement convaincre le Dr Ahmed Taleb Ibrahimi d'accepter la présidence d'honneur de leur parti en hommage à la constance de ses positions, et par reconnaissance à son long combat de plus de 60 ans pour la défense de la justice sociale, des composantes fondamentales de la personnalité nationale, son attachement à la moralisation de la vie publique et sa condamnation sans appel de la corruption sous toutes ses formes. Pour le reste, Taleb Ibrahimi, homme d'Etat, de conviction et de culture, n'a pas quitté la scène politique pour y retourner car, en tant que personnalité nationale, il ne s'est jamais désintéressé du sort de son pays. Bien au contraire. Il s'est toujours manifesté par des prises de position publiques et claires aux moments décisifs de la vie de la Nation. Personne ne peut prétendre le contraire. Vous êtes l'une des personnalités politiques les plus proches de Taleb-Ibrahimi. Pouvez-vous nous dire s'il compte réinvestir la scène politique ? Quelles sont ses ambitions ? Désolé, je ne suis pas autorisé à parler en son nom, car il n'est pas membre actif du parti, le PLJ. Cependant, mes relations avec lui me permettent d'exclure l'éventualité de son retour sur la scène politique dans l'état actuel des choses. M. Taleb Ibrahimi a longtemps souffert de l'injustice depuis son départ du pouvoir en 1988. Son tort est d'être resté propre, intègre et populaire après 23 ans continus de services en tant que ministre sous les présidents Boumédiène et Chadli. Son péché, que ses détracteurs ne lui ont jamais pardonné, est d'avoir été l'un des premiers, sinon le premier, à avoir osé appeler dès 1991 à la réconciliation nationale pour arrêter l'effusion de sang, au moment où le courage et l'honnêteté manquaient à beaucoup d'hommes politiques pour s'affirmer selon leur logique d'opinion. A titre de rappel : certains de ceux qui occupent la scène aujourd'hui voyaient dans cet appel insolite à la réconciliation nationale une prime au terrorisme. Dieu seul sait avec quelle virulence ils ont participé à un déchaînement médiatique pour diaboliser son auteur. Venons-en à l'actualité politique nationale. Votre parti a décidé de participer aux élections législatives du 4 mai prochain malgré l'insuffisance des garanties quant à leur transparence. Pourquoi avoir opté pour un tel choix ? C'est le congrès du Parti qui a décidé à une majorité écrasante de la participation aux prochaines élections législatives. Ce choix ne signifie nullement que les congressistes cautionnent la démarche du pouvoir dans sa stratégie de maintien du statu quo. Bien au contraire, ils considèrent que la participation aux législatives est la voie pacifique qui reste à suivre pour le changement politique impératif auquel aspire la société en harmonie avec l'élévation de son niveau de conscience politique. C'est une attente qui tarde à être satisfaite, ce qui explique la désaffection et l'indifférence quasi générale à l'égard de l'action politique. En outre, la politique de la chaise vide ne changera en rien le cours des évènements devant l'intrusion de l'argent sale, l'éparpillement des forces politiques de l'opposition et la détermination du pouvoir à différer l'heure de l'alternance démocratique. La loi électorale impose certaines restrictions à la libre participation aux élections, notamment par l'exigence du seuil des 4% des voix obtenues en 2012. Comment allez-vous la surmonter ? D'abord, ces restrictions s'appliquent avec effet rétroactif, alors que tout le monde sait que la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a pas d'effet rétroactif. Il s'agit donc d'une mesure anticonstitutionnelle qui répond à des calculs politiques conjoncturels. Hélas ! dans cette affaire, la crédibilité du Conseil constitutionnel est encore entachée. Malgré ces limitations, le PLJ sera présent dans 16 wilayas où il dispose soit de plus de 10 élus, ou dépasse la barre des 4%, comme l'exigent les nouvelles dispositions électorales. Dans les autres wilayas, une dizaine, nous aurons recours à la collecte des signatures… Je dois observer ici que le Parti rencontre des difficultés dans certaines APC où le citoyen se voit contraint à des va-et-vient pour légaliser sa signature… Une telle attitude décourage et le citoyen et le candidat. Le président de la Haute instance de surveillance des élections et le ministre de l'Intérieur se sont engagés à assurer la transparence des élections. Qu'en attendez-vous ? Oui, c'est un engagement clair, mais voyons donc, peuvent-ils dire le contraire ? Si vous reprenez l'historique de toutes les élections précédentes depuis le passage au multipartisme en 1989, ces garanties de transparence sont données publiquement par les hautes autorités du pays, presque dans les mêmes termes. Et pourtant, à chaque fois, la réalité du terrain en a décidé autrement, d'où la persistance de la crise de confiance entre le citoyen et ses institutions jusqu'à ce jour. C'est pourquoi, quelle que soit la bonne foi des personnes, cette crise de confiance constitue un handicap majeur dans la construction de l'Etat de droit avec l'adhésion du citoyen. Le pouvoir aurait pu, dans la dernière révision de la Constitution, éliminer cet obstacle en préférant une démarche consensuelle, non pas seulement dans la consultation de la classe politique comme il l'a fait, mais aussi et surtout dans l'adoption consensuelle des résultats de ces consultations et de leur mode de légitimation. Il a pris un autre chemin dont il assume les conséquences sur le bon fonctionnement des institutions nationales, y compris la prochaine Assemblée populaire nationale. Peut-on conclure que vous n'y croyez pas ? Soyons réalistes et ne considérons pas ce peuple comme dupe. Il faut en effet être naïf pour admettre que la culture de l'opacité et l'art de manipuler les urnes disparaîtront par un simple décret ou par une promesse politique. Tout le monde est habitué à tricher ou à laisser faire : les partis, l'administration, les corps constitués, les encadreurs des centres et des bureaux de vote… Peut-on imaginer, par exemple, une défaite électorale d'un haut responsable politique au sommet du pouvoir ? Quel sera en particulier l'avenir du wali concerné dans cette défaite ? Hypothèse absurde. Nous n'avons pas encore de culture de transparence, mais nous devons tout faire pour l'acquérir par un changement graduel des mentalités et une application stricte des lois. A cet égard, les prochaines élections constitueront un test de la nouvelle manière de gouverner. Comment envisagez-vous alors la participation des citoyens ? Il est certain que la crise économique que traverse le pays constitue la préoccupation première du citoyen, et explique en grande partie le manque d'engouement populaire à ces élections en dehors des appareils des partis. Ce facteur, ajouté à l'ampleur de la corruption, au malaise politique et au faible encadrement de la société par les partis politiques et le mouvement associatif, influera sur le niveau de participation, mais quel que soit ce taux, les résultats seront validés car il n'y a pas de quorum requis par la loi, et nous aurons donc le 5 mai une nouvelle instance législative. Cette réalité ne doit pas pour autant dispenser l'Algérien de l'accomplissement de son devoir citoyen. Les élections constituent pour lui l'occasion de formuler son avis sur l'avenir de son pays. Qu'aura-t-il à gagner en boycottant l'urne ? Marquer son désaccord? Humilier l'administration ? Exprimer sa déception face à l'offre politique des partis ? Se désintéresser pour la vie publique ? Par contre, il peut exprimer cette attitude de façon constructive par un vote blanc qui a une signification politique plus importante que le boycott, car glisser dans l'urne une enveloppe vide est synonyme de refus du choix proposé, en même temps qu'une indication d'attachement conscient au processus démocratique. D'ailleurs dans certains pays d'Europe et d'Amérique latine, les votes blancs sont comptabilisés séparément des votes nuls, et peuvent entraîner, au-delà d'une certaine limite, l'annulation pure et simple des élections. On assiste à des alliances entre des partis islamistes. Comment analysez-vous ce fait ? Est-ce une recomposition de la scène politique ? Tout regroupement de forces politiques homogènes ne peut qu'être salutaire car il évite l'émiettement des formations politiques et la dispersion des énergies. Toutefois, une telle initiative ne doit pas être inspirée par des considérations conjoncturelles liées aux campagnes électorales éphémères. Elle doit se projeter dans l'avenir et constituer un apport certain à la constitution de pôles politiques cohérents pour une meilleure lecture du paysage politique. C'est pourquoi le PLJ préfère attendre la fin des élections locales en octobre prochain pour mieux analyser le cadre de l'action future, et notamment l'éventualité d'alliances autour de l'axe du consensus national qui demeure l'unique voie pour la construction d'un Etat de droit durable. Un dernier mot... Il ne faut jamais insulter l'avenir même si le présent réduit la marge d'espoir. Notre pays dispose de possibilités et de potentialités énormes, et d'une jeunesse saine. Tout n'est pas malsain dans la société pour peu que l'esprit patriotique et l'esprit d'abnégation rejaillissent.