Nous pensions que la cause était mal entendue. Que les cris d'outre-tombe de nos Martyrs allaient irrémédiablement se perdre dans l'insupportable déni ambiant de la France. Qu'enfin, la page sombre de la longue nuit coloniale allait s'effacer, peu à peu, à l'épreuve de l'implacable raison d'Etat. De part et d'autre. Puis vint Macron… Si le jeune prétendant à l'Elysée n'existait pas, il aurait bien fallu l'inventer. Ce week-end, il aura étonné partisans et adversaires. Il a fait un bras d'honneur à l'histoire coloniale de son pays dont il n'est pas fier. C'est une autre Gerboise bleue qu'il a explosée depuis Alger, sur le sol de son pays, cette fois. L'Histoire, (avec un grand H) retiendra que c'est Emmanuel Macron qui lança le premier un décapant «En marche !» vers la reconnaissance sans aucune ambiguïté des crimes coloniaux que l'armée française a commis en Algérie. Cette épouvantable souffrance des Algériens a un nom selon Macron : «un crime contre l'Humanité». Dans nos rêves les plus fous, nous n'aurions jamais imaginé que viendrait le jour où un responsable français oserait une telle lucidité. Certains fieffés insatisfaits en Algérie trouveraient à redire quand eux n'ont rien fait pour amener Hollande, Sarkozy, et avant eux Chirac et Mitterrand, à lâcher ne serait-ce qu'un petit regret. Ne faisons donc pas la fine bouche. La condamnation franche et sans concession du système colonial par le favori des sondages en France est tout simplement inédite. Elle honore son jeune auteur et le grandit face aux éléphants du parti socialiste et aux hyènes de la droite et de l'extrême-droite. A partir de cette Algérie asservie, pillée, torturée, et à la mémoire de laquelle Macron se recueille avec respect et dignité, nous avons entendu les criaillements de François Fillon et les croassements de Marine Le Pen. Ils pensaient pouvoir souffler un peu du grand bruit que font les casseroles qu'ils traînent sur les emplois fictifs et la fraude fiscale. Raté. Emmanuel a réussi un coup de tonnerre qui pourra rendre le ciel algéro-français plus serein. C'est un formidable choc psychologique qui rassure que tout n'est pas perdu entre la France et l'Algérie. Du haut de ses 39 ans, il a su et pu crever un abcès purulent vieux de plus d'un demi-siècle. Macron a eu des mots forts, des mots justes, qui mettent le doigt sur la plaie. C'est ce que les Algériens, et sans doute beaucoup de Français épris de justice et d'humanisme, réclamaient. Désormais, il y a l'avant et l'après-Macron. Ses propos vont décomplexer des pans entiers de Français qui croyaient, à tort, que leur dignité allait être bafouée et que leur orgueil allait en pâtir. Non, le jeune candidat à l'Elysée a juste eu l'intelligence de comprendre qu'il est temps de se débarrasser de ce nœud qui étouffe les rapports entre deux pays prisonniers de leur passé. A travers son coup de pied dans la fourmilière de la colonisation, Macron offre un bol d'air frais à l'entreprise de refondation entre l'Algérie et la France que des millions de personnes de part et d'autre appellent de leurs vœux. Il nous invite à remettre les compteurs à zéro. A regarder ensemble dans la même direction pour construire une relation forte et durable avec cette mémoire enfin apaisée. Vu sous cet angle, Macron a fait preuve d'un formidable courage politique qui confirme sa stature d'homme d'Etat responsable. Il déconstruit une certaine «bien-pensance» française et une attitude franchouillarde qui auront rendu exécrables les relations du couple franco-algérien, réduit à gérer la garde des enfants, selon une formule bien inspirée. Le tir de Macron à partir d'Alger a eu un double impact. Il marque un but contre son camp réactionnaire. Et a mis en demeure les gardiens du temple en Algérie contre la tentation de s'arcbouter ad vitam aeternam sur ce thème très porteur de la mémoire.