Promue langue nationale et officielle dans la Constitution de février 2016, Tamazight, qui figurait en première ligne dans les différents combats pour les libertés et la démocratie dans le pays, fait toujours l'objet de convoitise et de manipulation chez les politiciens, mais aussi au sein du pouvoir. Certes, la constitutionnalisation de tamazight est considérée aujourd'hui comme un acquis indéniable après des dizaines d'années de lutte et de combat menés par des générations de militants depuis le mouvement national au milieu des années quarante jusqu'au début de ce deuxième millénaire, avec ce qui est appelé le Printemps noir et son macabre bilan de 126 jeunes assassinés sous les balles par un pouvoir qui a fini par lâcher du lest en offrant à cette langue millénaire un statut qui lui convient dans la nouvelle Constitution. Une avancée considérable, estime-t-on du côté du pouvoir, alors qu'en face, beaucoup de voix, notamment celles émanant du mouvement associatif et de certains anciens militants berbéristes, ne cessent de remettre en cause, ce qu'ils qualifient de constitutionnalisation «alibi». Pour certains, cette reconnaissance va préserver tamazight de toutes récupérations ou exploitations et manipulations politiciennes de la part de certaines parties, qui ont fait et qui font toujours de cette cause portée par une grande partie du peuple algérien, un fond de commerce. Cela se vérifie à travers toutes ces marches organisées dans les villes de la Kabylie ces dernières années à l'occasion de la célébration du 20 avril, sous le slogan générique de la lutte pour tamazight, mais avec au fond des visées politiques, loin de faire le consensus au sein de la société. C'est le cas du MAK, qui fait de l'autodétermination de la Kabylie son cheval de bataille, et qui choisit chaque année la célébration du Printemps berbère pour réitérer sa revendication, non sans titrer à chaque fois les dividendes de la mobilisation que charrie cette date symbolique du 20 avril chez le commun des citoyens en Kabylie. La question de la langue amazighe, longtemps confinée dans la clandestinité, est sortie au grand jour au début des années 90, avec l'ouverture démocratique, pour devenir une question essentielle dans la lutte pour les libertés. Portée par les partis de la mouvance démocratique, notamment le FFS et le RCD, tamazight, qui fut longtemps vilipendée par les tenant du pouvoir et les partis de la mouvance islamiste, est aujourd'hui porté à bras-le- corps par l'ensemble de la classe politique. Il suffit d'écouter le discours des leaders des partis politiques, toutes obédiences confondues, à l'occasion de cette campagne électorale, pour se rendre compte que tamazight est devenue une question d'intérêt national. En meeting avant-hier dans la ville de Tizi Ouzou, le chef du parti islamiste (MSP), Abderezzak Makri, a profité de la tribune que lui a offert la campagne pour les législative pour aborder la question amazighe, comme le ferait n'importe quel militant de la cause. Quid de la promotion de tamazight ? Tout en affirmant que l'officialisation de tamazight constitue une grande avancée et que tamazight est complémentaire de l'arabe dans le paysage identitaire national, il n'en demeure pas moins que selon Makri, il y a urgence à mettre en place l'académie scientifique de promotion de la langue amazighe sans laquelle rien de solide ne pourrait se construire. «Seule l'académie pourrait donner un prolongement concret à l'officialisation de tamazight dans la Constitution algérienne», a précisé le président du MSP. Un avis que partage un autre leader d'un parti diamétralement opposé à l'idéologie des islamistes, à savoir le président du MPA, Amara Benyounès, qui a déclaré samedi dernier dans la même salle que «tamazight, devenue aujourd'hui langue officielle, doit cesser d'être un fonds de commerce et que les partis politiques doivent laisser place aux académiciens pour faire la promotion de cette langue dans la société». Un discours qui tranche avec ce que ce même politicien revendiquait au milieu des années 90 lorsqu'il était au sein du RCD. Un parti qui a porté à bras-le-corps la cause amazighe, et dont la naissance était le prolongement du combat mené par le MCB dans les années 80, et qui a fini lui aussi par admettre que l'officialisation de tamazight «consacre enfin le combat de plusieurs générations pour une demande légitime et essentielle pour l'harmonie et la crédibilité des paramètres définissant le cadre devant accueillir notre destin collectif». Toutefois, d'autres voix sont allées jusqu'à remettre en cause cette officialisation, en relevant le caractère non irrévocable de son statut dans la constitution, contrairement à la langue arabe. «L'officialisation de tamazight qui ne figure pas dans le préambule de la Constitution est un leurre. Dans le triptyque Arabité, Islamité, Amazighité, tamazight est jeté à la périphérie», s'offusque le linguiste et militant de la cause berbère, Mouloud Lounaouci. Un constat qui en dit long sur le chemin qui attend encore cette langue millénaire pour se faire une place dans le paysage linguistique national, car comme l'a si bien souligné le docteur Hocine Toulait, spécialiste des politiques linguistiques, la situation de la langue ou des langues amazighes est extrêmement critique. Sur le plan démographique, elle a atteint un tournant dans son histoire où le nombre de locuteurs est en régression constante. Il y a relativement de moins en moins de locuteurs amazighophones (Kabyles, Chaouis, Touareg) en raison de tendances démo-linguistiques (démographiques et linguistiques) qui placent tamazight de plus en plus, selon lui, loin derrière les langues arabe et française.