Après plusieurs mois de travail, la générale de la pièce Bahidja, adaptée du roman Sans voile et sans remords de Leïla Aslaoui et mise en scène par Ziani-Cherif Ayad, a été présentée dimanche soir à la salle Mustapha-Kateb (TNA) à Alger. La salle Mustapha-Kateb était archicomble. Un public composé d'artistes, d'hommes et de femmes de culture, mais aussi de beaucoup de familles et d'amateurs du quatrième art, est venu en force assister à la générale de la pièce. Bahidja, adaptée du roman Sans voile et sans remords de Leïla Asaloui, est l'une des rares, si ce n'est la seule pièce adaptée d'un roman algérien qui traite en toute transparence de la décennie noire. Une histoire vraie qui raconte le sombre vécu de cette ancienne camarade de classe de Leïla Aslaoui. Basée sur un texte d'Arezki Mellal, une traduction de Noureddine Saoudi, une scénographie d'Arezki Larbi et une touche artistique d'El Hadi Cheriffa, la pièce est coproduite par le TNA et le théâtre d'El Gosto. Bahidja, c'est, d'abord, le vécu d'une femme exposée en permanence à la violence. Celle de l'histoire qui l'entraîne de tourmente en tourmente. Celle exercée par les mâles de la famille, père, frères, époux au nom de leur «pouvoir» et de leur «foi» discriminatoires. Celle des mères à l'égard de leurs filles. Une scénographie subtile Elles qui oublient trop souvent que la misogynie est «est une œuvre maternelle» consistant à formater les fils dans le moule du machisme en leur accordant passe-droits et privilèges immérités. Celle de l'extrémisme islamiste des «années rouges» ou «décennie noire» (1990-2000) qui a failli plonger l'Algérie dans le chaos. Mais Bahidja est aussi le triomphe de l'amour sur l'obscurantisme. Les événements se déroulent principalement durant les années 1990 avec des flash-backs vers la période de la Guerre de libération. La pièce qui diffère un peu du récit de Leïla Aslaoui, se déploie en trois parties. Une introduction chorégraphique particulière, une lecture remarquable et une mise en espace d'un tableau scénique qui revoit directement à l'ambiance morose de la décennie noire. En toile de fond, on trouve des rideaux noirs, des filets, des lampes torches en maîtresses des lieux dont le but est de chercher l'histoire. C'est ainsi qu'on voit Bahidja (campée par Nidal) errer sur scène cherchant son enfant Rédouane, ou chercher sa fille et sa sœur Nouria… Des symboliques fortes qui répondent aussi à une technique de mise en scène permettant de créer une rythmique qui dépeint la double temporalité du récit. Le terrain vague empli d'accessoires permettait aux comédiens de jouer dans un espace clos, une espèce de prison. Un univers presque carcéral que Bahidja et Anne-Marie, sa mère et sa sœur en même temps (jouée par Nesrine Belhadj), occupent à la perfection. Abbas Islam et Mourad Oudjit, qui incarnent successivement une série de protagonistes du roman de Leïla Aslaoui, dévoilent petit à petit les messages fort traités dans le récit, à savoir la condition précaire des droits de la femme en Algérie. Par ailleurs, Ziani-Cherif Ayad a redoré le décor sombre du roman en introduisant un humour subtil tout au long de la pièce. L'émotion était aussi très forte. Jouée en dialecte algérien, la pièce a pu ainsi atteindre le public qui n'a pas arrêté d'applaudir et de rire aux éclats tout en long de ce spectacle d'une heure. Comment oublier d'oublier… Rencontré à l'issue du spectacle, Ziani-Cherif Ayad nous dira qu'il est satisfait de ce résultat même si «la pièce reste ouverte à des améliorations car c'est seulement au fil des représentations qu'on peut roder une pièce afin qu'une vraie complicité s'installe entre le public et le spectacle». Pour sa part, Leïla Aslaoui s'est dit comblée et impressionnée du résultat qu'elle a découvert en même temps que le public. «C'est magnifique, on a l'impression que l'on voit un spectacle que l'on n'a pas écrit. C'est tellement vivant, c'est excellemment bien interprété. J'ai eu beaucoup de chances car l'adaptation de mon roman a été faite par des grands du théâtre algérien. Je suis d'autant plus heureuse que cela s'est fait en Algérie. Ce travail est un devoir de mémoire et Bahidja est avant tout un message de tolérance...», a-t-elle dit.