Les amateurs du 4e art ont été conviés, dimanche soir, au Théâtre national d'Alger pour découvrir la générale de la pièce théâtrale intitulée Bahidja, mise en scène par Ziani Cherif Ayad. C'est dans une salle archicomble que les présents ont eu le plaisir d'aller à la rencontre des protagonistes de cette pièce théâtrale poignante, retraçant un des pans de la décennie noire en Algérie. Coproduite par la Coopérative «Gosto» et le Théâtre national algérien, Mahieddine-Bachtarzi, la pièce Bahidja a mis à contribution des artistes confirmés, à l'image d'Arezki Mellal, pour l'adaptation, El Hadi Cherifa, pour la chorégraphie, Noureddine Saoudi, pour la traduction, Arezki Larbi, pour la scénographie et Amamra Abdelmohsen, pour la bande son. Adaptée du roman Sans voile, sans remords, de l'ancienne magistrat et ministre, Leïla Aslaoui, Bahidja est une histoire véridique, qui a cette force et ce pouvoir de capter l'attention du spectateur pour le laisser se promener dans une Algérie inquiétante, meurtrie dans sa chair. Pour rappel, Bahidja s'est mise à raconter sa vie à Leïla Aslaoui, lors d'une rencontre inopinée, au niveau de l'ex-rue d'Isly, à Alger, tout en l'invitant à s'en inspirer pour construire la trame d'un éventuel roman. Un vœu qui a été réalisé, puisque le roman en question est paru en mars 2012 aux éditions Dalimen. Le rideau se lève sur un décor des plus simples. Des filets sont suspendus tout autour d'une espèce de terrain vague, où sont jetés pêle-mêle des accessoires divers. Un univers presque carcéral s'offre au regard. Dans une lumière diaphane, Ahmed Oudoud (mari de Bahidja) scrute le public d'un regard inquisiteur avant d'allumer la radio. Il tente de décrypter certaines chaînes brouillées. De la musique et des prêches religieux finissent par résonner à hauts décibels. Il est très vite rejoint par son beau- frère Mahmoud (frère de Bahidja). Le débat devient des plus houleux entre les deux hommes à mentalité rétrograde. Quand le personnage principal, Bahidja, incarné par la comédienne Nesrine Belhadj, fait son entrée sur scène, dans un «djilbab» (tchador), elle fige l'assistance par son excellent jeu. Munie d'une torche, la narratrice se lance dans un récit émouvant, suivi d'un jeu de questionnements. Bahidja se met à raconter sa vie malheureuse. Cette brillante élève est contrainte d'arrêter sa scolarité sur ordre de sa mère française et de ses frères, qui voyaient en elle une future dépravée. Pour échapper à l'enfer familial, elle décide de s'unir avec un homme d'affaires de 14 ans son aîné. Bien que se consacrant entièrement à sa petite famille, elle ne peut se résigner à penser à sa grande sœur Nouria, une moudjahida disparue durant la Guerre de Libération. Aidée de cette torche pivotante, elle veut savoir la vérité sur cette sœur aimante auprès de sa mère, Anne- Marie, et de son frère, Mahmoud. Elle finit par la croiser, un jour, à Paris. La vérité se profile alors. Nouria fut arrêtée, mais aidée à fuir la prison coloniale par son futur mari, un officier de l'armée française, Patrick Dupont, lequel a rallié la cause nationale. Après 35 ans d'absence, Nouria décide de revenir au pays natal avec son mari pour fêter Noël chez sa mère. Les retrouvailles seront de courte durée. Le fils de Bahidja, Redouane, qui, à défaut de poursuivre des études en Suisse, s'est retrouvé embrigadé dans les rangs du GIA. En compagnie de ses acolytes, il fait irruption dans la villa pour assassiner tous les présents. Bahidja est la seule rescapée de ce carnage. Elle décide de s'emmitoufler, à jamais, dans un voile noir. Façon singulière de se blâmer d'avoir donné naissance à ce monstre de fils. Connu pour son sens de l'esthétique dans la mise en scène, Ziani Cherif Ayad a choisi de distribuer les rôles à des comédiens confirmés, tels que Nidal, Nesrine Belhadj, Abbes Mohamed Islem et Mourad Oudjit. Ces derniers se sont distingués par un jeu scénique irréprochable. Ils ont su transmettre des émotions plurielles, exhumées d'un passé révolu à jamais. Grâce à une musique adéquate, un texte bien travaillé et des mouvements corporels synchronisés, le spectateur s'est, dès lors, approprié cette histoire dramatique. Rencontré juste après la générale, Ziani Cherif Ayad avoue que ce qui l'a ému le plus en tant que metteur en scène, c'est le silence des spectateurs pendant la représentation. Pour sa part, Leïla Aslaoui, qui a découvert la pièce en même temps que le public, s'est dite, merveilleusement étonnée par cette adaptation magnifique. «J'ai eu, dit-elle, beaucoup de chance parce que l'adaptation a été faite par un grand du théâtre. Et tous ceux qui ont contribué à cette pièce sont des sommités de la culture. Au- delà de la reconnaissance, je suis heureuse que cela se soit passé dans notre pays. C'est un devoir de mémoire. Il faut qu'un jour les historiens aient les matériaux nécessaires, à l'image de cette pièce de théâtre, pour se pencher sur cette période tragique de l'Algérie. Bien entendu, ce n'est pas tout de suite. Nous ne sommes pas pressés, mais un jour, peut-être que les historiens s'intéresseront par cette période ». Il est à noter que la pièce Bahidja sera programmée jusqu'au 24 mai au TNA, avant d'entamer une tournée nationale à la rentrée prochaine.