Mise en scène par Cherif Ayad, la première représentation de la pièce a été donnée dimanche au Théâtre national algérien (TNA), en présence de l'écrivaine Leïla Aslaoui. Avant-hier au TNA, se tenait la générale de la pièce Bahidja, du metteur en scène Ziani-Cherif Ayad, tirée du roman Sans voile, sans remords (éditions Dalimen), de l'écrivaine Leïla Aslaoui. Adaptée par Arezki Mellal, traduite par Noureddine Saoudi, sur une scénographie d'Arezki Larbi, ce "texte-action", comme aime à l'appeler Arezki Mellal dans sa présentation de la pièce, a ému aux larmes, fait rire et interrogé le public pendant près de deux heures, grâce aux performances remarquables et remarquées de Nesrine Belhadj, Mourad Oudjit, Abbès Islem et Nidhal. Hypocrisie est ce qui pourrait résumer le premier tableau, qui tranchera radicalement, d'un point de vue esthétique et générique du reste de la pièce, et qu'a donné à voir Ayad devant un théâtre comble. Farce et humour caustique sont mis en avant dans l'exposition, où l'hypocrisie et l'affairisme deviennent le maître mot. Retentit alors à la radio une voix annonçant l'arrêt du processus électoral du 11 janvier 1992, suivie tout de suite après de la chanson Al-Assima de Abdelmadjid Maskoud. Des paroles à la gloire de la beauté d'Alger, qui se transformera, quelques jours plus tard, en abattoir humain... Sur une minuscule estrade en bois, symbole de l'étroitesse d'esprit et de l'ignorance du son époux (Mourad Oudjit), Bahidja se dispute avec ce dernier, qui lui impose de porter le voile, chose qu'elle refuse catégoriquement. Une vive émotion s'empare de la protagoniste, excellemment campée par Nesrine Belhadj, qui déclame ces mots comme un tonnerre qui retentit dans tout le théâtre, tant ils renvoient aux victimes qui ont tenu tête à la bête immonde, nous pensons notamment à Amel Zenoune et Katia Bengana, des noms que l'histoire retiendra. Une lampe-torche utilisée durant tout le spectacle par Bahidja sera l'un des éléments phares de la mise en scène, car, selon les propos de Ayad, "cette torche va chercher la vérité là où elle est cachée". L'interlude entre Bahidja et sa mère, Anne-Marie (autre rôle de la remarquable Nesrine Belhadj), évoque par ailleurs les histoires de famille, notamment Nouria, la sœur moudjahida, cette figure énigmatique exilée en France. À ce propos, le dramaturge expliquera que la double temporalité entre la femme au temps de la guerre de Libération et celle des années 90 était "un prétexte pour parler de la femme de toutes les époques. Nouria, même moudjahida, on lui a toujours reproché des choses. Je voulais dénoncer cette constante du statut inférieur de la femme". "Militaires, professeurs, journalistes, musulmans et chrétiens ont tous été égorgés, j'ai peur !", lancera Bahidja à sa mère avant de laisser place à la chanson Paris de Marc Lavoine et Souad Massi. À Paris justement, notre héroïne apprendra l'engagement de son fils Redouane dans les rangs des islamistes, qui lui annonce, via une lettre, que "la vie ne vaut pas la peine d'être vécue car le plus important sera l'au-delà". Cette mère meurtrie et femme avilie se lamente désormais sur scène, tandis qu'au fond de la salle résonnent les slogans islamistes qui glaceront l'ambiance dans tout le théâtre. Interrogé sur son œuvre, Ayad dira : "On n'a pas voulu faire de la provocation, mais dire qu'il faut être vigilant pour que les choses ne se répètent pas." Leïla Aslaoui, pour sa part, dira que cette représentation est "un devoir de mémoire, car il faut qu'un jour les historiens aient les matériaux nécessaires, avec des témoignages comme ceux-là, pièces ou récits, qui leur permettront de se pencher sur cette période tragique de notre histoire". Reparler de cette tragédie afin de ne pas oublier, telle est l'ambition première de ce spectacle déchirant, qui revisite un sombre pan de notre histoire, porté par des comédiens imprégnés de ce lourd passé. À noter que la pièce sera jouée jusqu'à demain au TNA à partir de 19h. Yasmine Azzouz