Depuis fort longtemps, l'Algérie, comme tous les autres pays du monde musulman, a connu des hommes de religion qui aiment la musique. A Tlemcen, le maître de la chanson hawzie, Hadj Mohamed Ghafour, dont le père était le cheikh de la zaouïa Ziania et dont la photo se trouve accrochée sur un des murs de la zaouïa de Kenadsa à Béchar. L'intérieur de cette zaouïa, dont la bibliothèque est bien gérée, est décoré par les portraits des chefs de confréries mais aussi de chanteurs et de musiciens de la région de Béchar dont ceux du groupe El Ferda. Ce qui prouve que les religieux soufis ont un penchant pour l'art. Cheikh El Ghafour est lui-même «mourid» (adepte) de la zaouia Belkaïdia de Tlemcen. A Alger, les chanteurs andalous ont toujours été des hommes de religion (sauf peut être quelques exceptions). C'est le cas, par exemple, de Mohamed Kheznadji et le défunt Ahmed Serri. Ce dernier, qui a fait partie des premières associations andalouses, participait aux soirées de chants qui étaient organisées régulièrement pendant le Ramadhan à Sidi Abderrahmane. Pour rappel, autrefois, il y avait les «Qessadine» qui chantaient la bonne parole, notamment les louanges au Prophète (QSSSL) après les prières des «Tarawih». Abderrahmane Djilali et l'andalou Au début du siècle, le muphti d'Alger, cheikh Mustapha El Kbabti, auteur des célèbres chansons Saraqa El Ghosno et Men ybat Eyra'î Lahbab, était parmi les plus grands défenseurs de la musique andalouse. Il faut rappeler aussi que les premières associations culturelles algériennes ont été créées avec l'appui des imams et les muphtis d'Alger. Plus près de nous, le muphti Abderrahmane El Djilali, qui a produit et animé l'émission religieuse Ra'y Eddine pendant plusieurs décennies, aimait écouter la musique, notamment andalouse, et était proche de plusieurs artistes. D'ailleurs, il connaissait tellement le chant andalou que l'Office national des droits d'auteur lui avait fait appel au début des années 1980 pour être parmi les membres les plus importants de la commission chargée de corriger les textes andalous. Cheikh Abderrahmane Djilali a également encouragé son fils, Réda Djilali, à apprendre le chant et la musique et a fait de lui, l'un des plus grands chanteurs algériens des années 1960. Sa chanson Ya Ali Chouf Djbel El gherb reste un grand classique. Les grands muphtis et imams ont toujours encouragé la pratique de l'art sous toutes ses formes à condition qu'il traite de bons sujets. Il y a beaucoup de religieux parmi les artistes. Le grand peintre Omar Racim, qui a consacré la plus grande partie de sa vie à l'enluminure du Coran au niveau de l'imprimerie de Mourad Rodossi et faisait l'appel à la prière dans un style andalou, est connu pour son approche de l'Islam et aussi son nationalisme. D' ailleurs, c'est pour cette raison que la France ne l'a pas mis au devant de la scène. Cheikh Eddahaoui, qui a été également un animateur à la radio pendant une longue période, était un homme de religion qui n'avait aucun complexe à côtoyer et à plaisanter avec les artistes. Cheikh Mohamed Eddahaoui était, par ailleurs, le neveu du savant syrien Cheikh Ramadhane El Bouti, qui fut assassiné par les terroristes intégristes. On peut signaler le cas de Hassan El Hassani, qui était un pratiquant n'ayant jamais oublié de faire sa prière à l'heure, même pendant les tournées de théâtre et les tournages de films. La plupart des premiers poètes du melhoun et du hawzi étaient de grands hommes de religion. C'est le cas de Sidi Boumediene, Ben M' Saïb et Sidi Lakhdhar Ben Khlouf, qui reste le meilleur exemple pour montrer que les religieux ont toujours mis à profit les belles voix, les belles mélodies et les musiques pour mettre en valeur les textes traitant soit de religion, d'amour ou d'autres sujets sociaux. Bien que la plus grande partie de ses «Qaçaïd» soient dédiées au Prophète Mohamed (QSSSL), Sidi Lakhdar s'est transformé en véritable historien en écrivant Qesset Mezeghran, un long poème de 400 vers dans lequel il met en image l'histoire de la bataille de Mazagran au mois d'août 1558 entre les Espagnols et le chef de la marine algérienne Hassan Agha, le fils du célèbre Kheireddine. Sidi Lakhdhar Ben Khlouf, qui vivra 125 ans, a appris le noble Coran dans une zaouïa près de Mostaghanem, et s'est imprégné de cette éducation soufie qui prône l'écoute de l'autre et encourage les gens à montrer leur joie lors des fêtes, notamment religieuses et familiales. Quand les imams assistaient aux concerts Autrefois, dans les zaouïas, on assistait à des soirées où des chanteurs accompagnés par les «qessadine» (chorale) donnaient la joie autour d'eux tout en chantant des textes sur La Kaâba, le Prophète (QSSSL) etc. A Alger, Blida, Médéa, Cherchell, la majorité des imams et des muphtis étaient les invités d'honneur, lors des fêtes de mariage ou autres animées par des soirées musicales. D'ailleurs, le muphti Mustapha El Kebabti, qui était l'auteur de beaucoup de poèmes, avait lui-même encouragé les artistes à bien garder le patrimoine culturel andalou. En se déplaçant entre Bab El Oued et Bouzaréah, où il devait assister à une soirée au niveau de Sidi M'hammed Mejdouba (cimetière de Bouzaréah) que le muphti avait écrit la belle chanson Saraqa El Ghosno. L'ancien président de l'association El Mossilia, Sid Ali Ben Mrabet, était lui-même un élève du muphti Baba Amer. Dans un passé récent, tous les imams et muezzins, notamment du rite hanéfite, préféraient les airs andalous en lisant les sourate du noble Coran et en faisant l'appel à la prière («Adhan»). Le muphti Baba Amar, qui a été témoin aux côtés du muphti Tchanderli, pour l'islamisation du musicien et cithariste, Benoît Lafleur, ne lui avait jamais déconseillé la pratique de la musique puisqu'ils étaient eux-mêmes des mélomanes. Heureusement qu'il y a une nouvelle vague d'artistes ayant compris qu'on peut facilement être un bon religieux tout en continuant à chanter et à pratiquer l'art. Enfin, on aimerait bien voir un jour un imam diriger la prière le jour et monter sur scène le soir, pour recevoir un oscar ou un disque d'or.