Qu'ils écrivent en arabe, en italien, en swahili ou tifinagh, les poètes ont l'avantage de pouvoir s'exprimer par la beauté des mots et des phrases bien rimées. Chez nous, les poètes du melhoun se sont toujours distingués par la beauté de leurs poèmes lorsqu'ils expriment leur amour de la Kaâba ou décrivent la femme qu'ils aiment ou leur joie à l'arrivée du printemps. Chez nous, la poésie dialectale a existé depuis fort longtemps et a pris une autre dimension dès l'arrivée des Andalous. Cette poésie appelée melhoun nous a donné plusieurs genres appréciés, notamment le chaâbi, le bedoui, le sahraoui et le moderne. Aux sources du melhoun Le melhoun n'est pas appelé ainsi parce qu'il se met en musique comme on le croit mais parce qu'il contient des fautes de grammaire (lahn) et diffère de la poésie classique du point de vue de la mesure (ouezn). Le melhoun pur diffère aussi du bedoui car sa rime ne change pas jusqu' à la fin du poème alors que celle du bedoui change comme dans le mouwachah et le zadjel. Le melhoun tient son origine des mouwachahate et du zedjel ainsi que de la poésie de la Djahilia comme le prouvent certains vers de Sidi Saïd El Mendassi, l'un des pionniers de ce genre aux côtés de Cheikh El Kelai et Hadj Khaled. Sidi Boumediène Chouâib qui est parti de Bejaïa vers Tlemcen a été l'un des premiers poètes classiques avec Ibn Mouâti à écrire des poèmes en melhoun. Il faut noter que Ibn Mouâti est l'auteur de la Elfia (la grammaire arabe en 1000 vers). Vu que ces styles (melhoun et bedoui) sont très proches, les poètes n'avaient pas de difficultés à passer d'un genre à un autre. Un style riche Le melhoun est très riche. Le bedoui a lui seul compte une trentaine de genres dont les plus connus sont le guebli, le m'khazni, le sroudji, le chahati et le merbouê. Les chefs de file du bedoui étaient, au début, Ali Koura et Ben Della. Durant toute cette période, le bedoui est devenu à la mode et tous les poètes qui se sont mis à écrire ont laissé leurs empreintes notamment dans l'Oranais et durant la période de l' Emir Abdelkader. Le pionnier du melhoun Sidi Saïd El Mendassi qui fut ministre auprès du roi Mouley Smaïl du Maroc d'où il a fui suite à une altercation, avait à ses côtés Ali Koura, Ben Hamadi, El Kilâi et Hadj Khaled. Ce dernier a écrit un poème de 400 vers décrivant le gourbi de l' Emir Abdelkader après sa destruction suite à son départ de Mascara. Cette qaçida (chanson) a été enregistrée à la radio en 1953 par Cheikh M' hammed El Meliani. L'un des plus beaux poèmes de Hadj Khaled est celui qui décrit un combat entre un taureau et un lion. C'est le taureau qui avait gagné le combat. Il faut noter que la ville de l' Emir Abdelkader a toujours été un pôle culturel et les poètes Tahar Benhaoua, Ben Guennoun, Ould Boungab (cousin de l' Emir) et Mestpha Ben Brahim, l'auteur de Lqit Anaya Khoudet qui deviendra l'un des premiers succès de Nouri Koufi à la fin des années 1970. Benkhlouf, un pôle du soufisme et du melhoun L'un des plus grands maîtres du melhoun, Sidi Lakhdar Benkhlouf est né à Mostaghanem, la ville qui fut la capitale du meghrabi (chaâbi) et continue de fournir des poètes et chanteurs de talent (Bendameche, Benatya etc.). Ce grand maître de la poésie populaire et du soufisme était considéré par ses pairs comme l'Emir des poètes. Cet homme qui a eu le privilège de voir le prophète Mohammed (QSSL) à 100 reprises est connu pour la qualité de ses poèmes et ses prédilections notamment celle où il décrit le célèbre palmier qui naîtra après sa mort et prendra une forme exceptionnelle. Le palmier de Sidi Lakhdhar est toujours vivant pour témoigner de la valeur de cet homme qui a vécu 125 ans. Il fut un religieux d'exception, un inégalable poète et un grand moudjahid. D'ailleurs, il raconte dans un de ses poèmes comment il a participé dans la bataille de Mazaghran en 1558. C'est suite à une vision (rêve) que Sidi Lakhdhar Benkhlouf avait décidé de rendre visite à Sidi Boumediène et embrasser la tariqa soufie du grand wali de Tlemcen. El- Mokrania, la poétesse et son berger La région du Sahara a aussi eu ses moments de gloire et de grands poètes se sont imposés avec un genre particulier. Les poètes sahariens les plus connus et qui ont vécu à Laghouat et Ouled Djellal sont Sidi El Hadj Aïssa, Benkerbane, Ben Kerriou, Smati, et Benguitoune, l'auteur de la célèbre Hizia. Laghouat est également connue pour sa poétesse El Mokrania (une rareté dans le melhoun). L'un des meilleurs poèmes de Cheikha El Mokrania est celui où elle raconte l'histoire de son berger ayant décidé de demander sa main après la mort de son mari. Tlemcen, berceau du hawzi La ville de Tlemcen n'a jamais cessé de donner de grands maîtres et les plus connus sont Sidi Boumediène, Ali et Mohamed Bensahla, Ben M' Saib, Sidi Boudjemaâ Ben Triki, Sekkal et Ben Msaib qui sont les créateurs du hawzi). Dans le Constantinois, il y a eu de bons poètes mais le plus connu est Cheikh Bendhebbah, l'auteur de Rouhi Thasbek et Errebiê Eqbel. Ce poète s'était spécialisé dans le hawzi. Quand la poésie rime avec la religion Il faut noter que la majorité des qaçaïd (chants) avaient un contenu religieux et de grands imams et muphtis étaient également des poètes. C'est le cas de Bouqendoura le muphti d'Alger et Sidi Ali Zouaoui. Sidi Abderrahmane Ethaâlibi avait aussi un poète tout comme Sidi Ben Ali, et El Kebabti, l'auteur de saraqa el ghosno. Benchneb, Moufdi Zakaria et Benzekri Depuis El Mendassi, (il y a 5 siècles) des centaines de poètes ont laissé leurs empreintes et le siècle dernier a été marqué à Oran par Ben Chouâla, Bellahrache, et Abdelkader El Khaldi qui, faut-il le rappeler, n'a jamais chanté le raï et refusait de côtoyer des chanteurs de ce genre de chanson. Durant la même période, Sidi Belabbès a vu l'émergence de Abdelmoula et Ould Abbès. Les poètes du melhoun les plus connus à Médéa étaient Bendali, Bengharnout, Lyaho, Mahboub Stambouli et Bensafar qui n'est autre que le père du grand parolier et musicien Mahboub Bati. Le succès de la poésie populaire a toujours poussé les poètes du classique à écrire dans le melhoun et on a retrouvé des poèmes de Benchneb, Moufdi Zakaria et Ahmed Benzekri qui avait aidé El Anka et Hadj M' Rizek en leur corrigeant les qaçaïd mal transcrites. Chansons connues, poètes méconnus Quand le bedoui et le eye eye étaient à la mode dans les années 1940-50 avec Cheikh Hamada, El Meliani, Bouras, El Metidji, Palikao et El Attafi qui avait enregistré Que je suis malade en 1956 (texte de M. Stambouli), l'avènement de la radio a beaucoup aidé à la célébrité de poètes tels que Rahab Tahar, Haddad Brahim, Hachlaf, Ababsa, Driassa etc. Il est à rappeler que beaucoup de poètes et de compositeurs qui étaient derrière le succès de chansons sont malheureusement restés à l'ombre. C'est le cas de Hafidh Garami, Bouroubi et Boualem H'sabate, l'auteur de Yalli Theb Telêeb Esport chantée par Hadj M' rizek. La relève D'autres poètes tels que Abderrahmane Aissaoui ont préféré peut-être eux-mêmes, rester à l'ombre. Angar est monté en flèche pendant une période. Le défunt Deghfali a trouvé également une place dans le milieu du chaâbi d'Alger. A Blida, on a entendu quelques bons textes de Omar Ghribi. Dans chaque ville d'Algérie, il y a des poètes doués. A Mila, c'est le romancier et poète d'expression française Cherif Abdeddaim qui est sur la voie des maîtres du melhoun. Cet artiste complet (il est aussi peintre) est également un chanteur de malouf talentueux. Hafidh Bouâroua, Sehiri et Adjaimi (le comédien) sont également doués mais le poète le plus en vue est Yacine Ouabed qui passe souvent à l'émission Fen Bladi présentée par Yacine Bouzama.