Adapter une œuvre littéraire sur grand écran est un pari risqué, puisque la complicité d'une adaptation réside dans son infidélité, sinon, elle serait une pâle copie de l'œuvre originale. C'est du moins ce qui est sorti de la rencontre sur «la littérature et l'adaptation cinématographique», tenue jeudi soir à la librairie Chaïb-Dzaïr de l'Anep à Alger. Pour évoquer la «Littérature et l'adaptation cinématographique», ce thème controversé, Sid Ali Sekhri, modérateur de la rencontre, a fait appel à un grand réalisateur algérien, Ahmed Rachedi, pour partager son expérience dans ce sujet notamment, à travers son dernier film inspiré du roman de Mohammed Maârfia, Les sept remparts de la citadelle. «La littérature a nourri le cinéma et le cinéma a été très utile à la littérature… Tous les Algériens ont vu le film Dar Sbitar [la grande maison] mais rares sont ceux qui ont lu la trilogie de Mohamed Dib qui a inspiré ce film. Même chose pour le film l'Opium et le bâton : tout le monde se rappelle de cette fameuse phrase qui, d'ailleurs, ne figure pas dans le livre : ‘'Ali Mout Waqef'‘, et rares sont ceux qui ont lu le livre de Mouloud Mammeri», dira Sid Ali Sekhri. Pour adapter une œuvre littéraire, les cinéastes ont tendance à choisir des titres connus, et ainsi le succès est assuré. Mais pour Ahmed Rachedi, adapter Les sept remparts de la citadelle (ed. ANEP 2003) est un autre choix. «Lorsque j'ai lu la première version du livre au début des années 2000, il s'appelait alors La passion d'un fellaga ; j'ai de suite aimé l'histoire. Depuis, il m'a fallu 20 ans pour traduire ce livre en la langue des images. Ce livre parle de l'histoire de la Guerre de libération algérienne sous un autre jour complètement différent. Et il y a très peu de bons écrits sur la Guerre de libération nationale… L'auteur dans son livre raconte son histoire, décrit avec une grande passion ses compagnons, parle aussi des pieds-noirs et des colons français avec beaucoup de vérité…», dira Ahmed Rachedi avant de poursuivre : «Faire des films sur la guerre d'Algérie et ses personnages est très difficile. J'ai réalisé les films sur Ben Boulaïd, le colonel Lotfi, et Krim Belkacem, à l'issue duquel j'ai reçu des menaces de mort. L'association de mémoire de Krim Belkacem m'a envoyé une lettre disant qu'ils me tueront si je faisais ce film. Je leur ai répondu : tuez-moi si je ne le fais pas…», a-t-il témoigné. Obstacles et censures Par ailleurs, Ahmed Rachedi dira que sur les 12 000 romans traduits à l'écran dans le monde, seuls 5 d'entre eux ont répondu aux attentes de leurs auteurs. «Il y a des impératifs à respecter dans le cinéma. Le temps, par exemple. On ne peut dépasser 2h30 dans un film alors qu'un livre prend 1 000 pages sans problème. Les coquetteries d'auteur et son intime réflexion ne peuvent être traduites telles qu'elles sont dans le livre, sur grand écran… Beaucoup de choses font qu'une traduction du roman est toujours une trahison.» «Ceci dit, un film peut aussi redonner vie à une œuvre. C'est ce que m'a dit Mohammed Dib lorsque j'ai adapté son roman : ‘'Je t'ai donné une histoire d'amour, tu en as fait un western». Ahmed Rachedi a évoqué, ensuite, le problème des comédiens, incapables de reproduire parfois la sensibilité des personnages d'un livre, tout en mettant l'accent sur le scénario et la langue. «On n'a pas de langue dans le cinéma algérien, contrairement au cinéma égyptien qui, lui, parle le langage de la rue. Dans Les sept remparts de la citadelle, j'ai des comédiens qui viennent de 14 wilayas avec des dialectes et des accents différents. Donc, quelle sera la langue du film ?». Une œuvre magistrale En outre, la problématique du scénario et le budget obligent aussi le réalisateur à faire des choix difficiles. «Ecrire le scénario de ce film a été facile pour moi, puisque c'est moi qui ai écrit le livre, mais condenser 1 000 pages en deux heures n'est pas une chose facile. Quand M. Rachedi a revu mon scénario, je ne lui en ai pas voulu, car il sait ce qu'il fait et c'est à lui de prendre la responsabilité de son film», dira, pour sa part, Mohamed Maârfia, auteur des Sept remparts de la citadelle. Ce dernier, âgé de 81 ans, a fait spécialement le déplacement de Souk Ahras à Alger pour assister à cette rencontre. Il dira que ce livre ne s'écrit pas mais se vit. «J'ai été très top et très jeune au maquis. Les personnages de ce livre, je les ai connus ; j'ai dormi avec eux sous la dure. Nous avons résisté à des opérations de l'armée française, avons été blessés, soignés par des paysans. Certains d'entre nous ont eu la gangrène, d'autres sont morts d'hémorragie… Ce sont tous des gens admirables et extraordinaires que j'ai tenus à faire revivre un jour. Après l'indépendance et comme beaucoup de mes amis, j'ai été dans l'impossibilité d'écrire… La littérature ne fait pas vivre dans notre pays… Donc, ce livre, je l'ai écrit en six ans avec beaucoup d'interruptions mais à chaque fois, mes souvenirs revenaient en force. Je décris les personnages avec mes tripes et mon cœur ; j'ai même gardé les noms de certains ayant traversé quelque pans de ma vie… En ce qui concerne l'adaptation de mon livre, et lorsque Ahmed Rachedi assassine certains de mes personnages, je ne lui en veux pas car les moyens dont il dispose sont très étriqués. Il faut faire des choix», a-t-il poursuivi. Mohammed Maârfia n'a pas manqué, par ailleurs, de souligner sa déception de son éditeur, qui n'a fait aucun effort pour médiatiser son livre, passé malheureusement sous silence. «Ils ont même décidé d'en faire deux tomes alors que j'aurais préféré qu'il soit publié en un seul livre… Un éditeur français m'a contacté une fois et voulait rééditer mon livre. Seulement, il a exigé que je supprime les passages où je parle des harkis, chose que j'ai refusée catégoriquement de faire». Maârfia dira, ensuite, que «50 ans après l'indépendance, il est grand temps de dire les choses telles qu'elles sont. On a trop écrit et parlé sur la guerre d'Algérie… Et bien qu'on a arraché notre indépendance, les jeunes d'aujourd'hui ont d'autres préoccupations. Ils pensent à leur avenir en Algérie...»