La partie d'échecs entamée entre Washington et Moscou il y a près d'une année sur le sol géorgien fut marquée, à l'époque, par une première manche en faveur de la Russie. Une nouvelle donne se joue depuis hier à Moscou, la capitale de cet immense pays qui s'étend sur pas moins de seize fuseaux horaires… La visite du Président Obama à son homologue russe intervient à un moment où, paradoxalement, la fédération de Russie mène – pour faire pression ? – depuis une semaine d'impressionnantes manœuvres militaires aux frontières de la Géorgie, alors que la centaine d'observateurs onusiens sont obligés de quitter, après seize années de présence, la rebelle Abkhazie, Moscou leur ayant opposé son véto. Ce qui n'est pas pour plaire à Michaïl Saakachvili , de plus en plus impopulaire après la débâcle qui a suivi l'attaque qu'il a ordonnée contre l'Ossétie du sud et qui sent qu'il est lâché par ceux qui l'ont fait roi et qui l'avaient utilisé, à l'époque, pour tester les réactions russes. Nouvelle approche américaine C'est d'ailleurs à la suite de la réaction musclée du Kremlin et suite au bras de fer opposé par Moscou pour remettre les pendules à l'heure lors de la «guerre éclair» en Géorgie que l'administration américaine a changé de tactique et de stratégie politique. La «remise à zéro des compteurs» si chère à Hillary Clinton et le «bouton rouge» symbolique offert à son homologue pour reprendre des négociations «amiables», ainsi que les rencontres entre les responsables américains et russes et surtout celle entre Obama et Medvedev, lors du G20 à Londres, ont permis de briser un tant soit peu la glace entre les deux puissances. A Moscou, Obama devait avoir un long tête-à-tête hier avec Medvedev. Mais sans la présence de Poutine qui s'entretiendra toutefois sur les questions énergétiques, trop délicates, avec le locataire de la Maison-Blanche, laissant le reste des sujets brûlant à son «Président». Washington espère ainsi, écarter quelque peu l'encombrant Premier ministre russe pour mieux mettre en avant un Medvedev dont personne n'ignore cependant les limites,Poutine restant à l'évidence l'homme fort du Kremlin. Poutine toujours égal à lui-même Ce dernier ne s'est d'ailleurs pas gêné de répondre du tac au tac à Obama qui avait – malencontreusement ? – déclaré vendredi que Poutine «a un pied sur les vieilles méthodes de gestion et l'autre sur des procédés nouveaux». Ce à quoi Poutine a rétorqué : «Pour ce qui est de faire le grand écart, nous n'en avons pas l'habitude, nous sommes fermement debout sur nos deux jambes et regardons toujours vers l'avenir. C'est une particularité de la Russie.» Le décor est donc planté. Il faudra probablement s'attendre, alors, plutôt à un combat à fleuret moucheté entre ces deux stratèges qui laisseront de côté, cette fois-ci, leur jeu d'échecs. Celui-ci exige en effet plus de temps pour pouvoir débattre convenablement des nombreux dossiers épineux dont nombreux sont ceux hérités de la guerre froide et de la période Bush. Obama devra quitter Moscou demain mercredi pour se rendre en Italie pour le sommet du G8 avant d'effectuer juste après sa première visite africaine au Ghana. Il lui sera donc d'autant plus difficile d'aborder tous les sujets brûlants surtout en l'absence d'Hillary Clinton dont on dit qu'elle est en convalescence alors que des mauvaises langues spéculent déjà sur une mésentente entre les deux anciens rivaux à la Maison-Blanche... La Russie, méga puissance nucléaire Parmi les dossiers les plus délicats, il y a certes celui de poursuivre les efforts pour limiter la course aux armements nucléaires. Un accord sera sans doute trouvé, les deux parties n'ayant aucun intérêt à détenir un nombre impressionnant d'ogives. Moscou qui possède – guerre froide oblige – quelque 16 000 têtes nucléaires se pose en méga puissance nucléaire avec laquelle les USA doivent composer coûte que coûte. D'un autre côté, la Russie a aussi son conglomérat militaro- industriel – le premier exportateur mondial – qui fournit et ses armes et sa technologie militaire à des clients potentiels et fidèles comme la Chine, l'Inde, le Venezuela… et surtout l'Iran. Or, l'Iran, depuis l'arrivée d'Obama à la tête de l'administration américaine, est une priorité dans la politique étrangère des Etats-Unis. Le locataire de la Maison-Blanche l'a d'ailleurs très courageusement affirmé plus d'une fois, quitte à affronter une opposition farouche au sein du Congrès ou des partis américains, voire même parmi ses «amis» politiques. L'Iran reste une priorité à ménager Le Président américain a ainsi réitéré sa vision des choses en déclarant récemment : «Nous avons certains intérêts en matière de sécurité nationale à ce que l'Iran ne développe pas d'armes nucléaires, n'exporte pas le terrorisme, et nous avons offert à l'Iran une voie pour rejoindre la communauté internationale». C'est tout dire, et cette déclaration n'est pas un coup d'épée dans l'eau dans la mesure où elle constitue aussi un appel du pied à la puissante Fédération de Russie, car – et c'est une des cartes maîtresses détenues par le Kremlin – Moscou peut beaucoup faire pour «sensibiliser» les ayatollahs et demander à Ahmadinejad de «tempérer» ses ardeurs. Moscou est donc en mesure d'influer sur la «pseudo course à la bombe atomique» qui effraie tant les occidentaux et surtout Israël, quand bien même et les Russes et les Chinois savent pertinemment que l'Iran n'en a pas la prétention et ne pourrait y accéder sans leur aval et leur transfert de technologie. Mais le Kremlin exploitera judicieusement cette «menace» afin de mieux négocier ses intérêts. Le bouclier antimissiles pomme de discorde Et l'une des négociations qui tient le plus au cœur des russes, c'est l'arrêt du fameux bouclier antimissiles que l'OTAN déploie aux portes de Moscou, en profitant des nouvelles alliances atlantistes obtenues – ô comble de désespoir ! – auprès d'anciennes républiques de l'ex-pacte de Varsovie. La partie sera donc serrée dans la mesure où Obama sera gêné aux entournures, s'agissant de donner du lest sur cette question qui reste éminemment politique et engage la crédibilité du Pentagone et de l'OTAN et joue surtout sur la fibre sécuritaire des pays faisant partie de l'Alliance. Une affaire de sécurité pour tout le monde Mais la sécurité, c'est aussi ce à quoi aspire le Kremlin qui s'en inquiète lorsqu'il observe le déploiement de ce bouclier autour de son territoire. Tout en négociant, Washington poursuit de son côté son avancée. Il compte toujours installer en république tchèque et en Pologne notamment des radars et des missiles intercepteurs. Ce qui est considéré comme une véritable menace par Moscou qui ne cesse de le rappeler et qui envisage de son côté d'autres formes de pressions sur Washington et ses alliés. Est-ce le début d'une nouvelle guerre froide qui ne dit pas son nom qui se déroule au quotidien dans le Caucase particulièrement avec la démonstration de force aux frontières de la Géorgie ? Pour mettre un peu plus de pression ? A l'évidence, d'un côté comme de l'autre, les deux superpuissances avancent leurs pions. Elles seront fatalement contraintes de faire reculer certaines pièces de l'échiquier car elles devront aussi compter sur d'autres facteurs mais aussi sur une réalité géostratégie qui leur échappe malgré tous leurs moyens. La géopolitique impose de nouvelles règles La situation en Afghanistan, au Pakistan, au Proche et au Moyen Orient, en Asie, en Corée, en Afrique, au Sahel, au Maghreb, et surtout la montée inquiétante des intégrismes et surtout du terrorisme international sont autant de fronts qui couvent et auxquels il faut prêter attention. L'émergence de nouvelles puissances régionales, très évolutives, comme l'Inde ou la Chine et la nouvelle course, non pas aux armements, mais à la consommation d'énergies qu'elles induisent pour se développer encore et toujours plus, ainsi que la frénésie et la boulimie affichées par ces nouveaux consommateurs inquiètent tout autant Washington et Moscou. Obama et Medvedev ne se contenteront donc pas de renouveler leur traité Start concernant leur engagement de non-prolifération en matière d'armements nucléaires. Ils sont condamnés à laisser de côté leur jeu d'échecs pour étudier sereinement cet autre grand échiquier où toutes les Nations ont leur place et où tous les peuples aspirent au bien être. Car de nouvelles règles sont imposées par une géopolitique évolutive quoique mouvementée. Ils devront, pour une fois, laisser de côté leur égo et jouer aux gendarmes du monde, certes, mais dans l'intérêt de tous. Car là réside en fait leur propre intérêt. Alors et alors seulement, on pourra entrevoir une lueur d'espoir pour les enfants de Palestine, d'Afrique, d'Asie et d'ailleurs…