Le Temps d'Algérie : La lettre qu'a adressée le président américain au roi marocain augure-t-elle un nouveau tournant pour le conflit qui oppose le Sahara occidental au Maroc ? Lakhal Malainine : La lettre du président Obama au roi du Maroc était claire en exprimant le soutien américain à une solution mutuellement acceptable dans le cadre de l'ONU, c'est-à-dire dans le cadre de la légalité internationale. La lettre ne fait aucune référence au soutien américain à la proposition marocaine d'autonomie au Sahara occidental, déjà affiché par l'administration Bush pendant ces deux termes. Aussi, Obama appelle le Maroc clairement à soutenir les efforts de Ross, ce qui veut dire que l'administration a une vision de solution qui n'a rien à voir avec la proposition marocaine. Ce n'est pas une question de bon ou mauvais augure, il y a un changement dans la position américaine sur notre question, ça c'est sûr ! Mais la nature de cette position n'est pas tout à fait claire encore, cependant et ce qui est certain, elle est meilleure que la position Bush.
Le prochain round aura-t-il toutes les chances d'être décisif pour ce conflit ? Il est très tôt d'espérer un résultat décisif du prochain round, d'ailleurs Ross l'a dit, il a besoin d'organiser d'abord des rencontres non officielles dans un premier temps pour discuter à fond de toutes les questions avant d'organiser les rounds de négociations. Je crois personnellement que sa stratégie est très professionnelle, elle démontre qu'il y a du sérieux dans le travail de médiation qu'il fait au nom de l'ONU, mais aussi comme un diplomate américain de gros calibre, qui bénéficie, comme le démontre la lettre, de la confiance totale du président Obama. Cela dit, souhaitons que le médiateur ne soit pas frustré par l'intransigeance marocaine qui a causé frustration et échec à plusieurs médiateurs dans le passé.
Quelle influence a cette lettre sur les négociations entre le Maroc et la RASD ? Très importante influence. D'abord, les deux parties au conflit savent maintenant que Ross est fort en tant que représentant onusien, mais aussi fort par le soutien qu'il a de son pays, qui est un acteur international majeur, qui a tous les moyens d'aider à résoudre ce vieux conflit. En suite, pour le Polisario, au moins la position exprimée dans cette lettre lui donne crédit et soutient à la position sahraouie, qui préconise la nécessité de l'exercice par le peuple sahraoui de son droit à l'autodétermination, c'est-à-dire qui laisse au citoyen le choix de décider entre trois option : intégration, indépendance ou autonomie. Je pense que le Maroc va faire tous son possible pour faire changer cette position américaine, et bien sûr le roi du Maroc va faire usage de ses relations avec le lobby juif pour essayer de faire pression sur Obama et son administration.
En parlant de ce prochain round de négociations, en tournée dans la région, Ross n'a pas été reçu par les hautes autorités de Rabat, cela peut-il être perçu comme le maintien (par le Maroc) de son plan dit d'autonomie ? Non ! Je crois plutôt que le roi du Maroc n'avait rien à dire et savait que la position américaine n'est pas facile à changer. Rabat veux envoyer un message à la maison blanche disant que l'allié marocain n'est pas content.
Ils sont nombreux les observateurs de ce conflit à voir dans la démarche de Ross une continuité de celle de Baker. Selon vous, ce plan (de Baker) est-il toujours d'actualité ? Plusieurs observateurs et spécialistes ont effectivement cette vision, et je crois que leur analyses sont crédibles, mais je crois qu'il y a plusieurs donnes et cartes dans les mains des Sahraouis, que ces experts tendent à oublier ou à en minimiser l'influence, alors que l'histoire nous montre le contraire : l'Intifada pacifique sahraouie dans les territoires occupés par le colonialisme marocain rend la vie difficile aux Marocains qui n'arrivent pas à contrôler le pays. Aussi la réussite diplomatique, médiatique ainsi que la lutte sahraouie sur le respect des droits de l'homme et contre l'exploitation systématique des ressources naturelles du Sahara occidental mené par le Polisario et l'Etat sahraoui ont réussi à faire pression sur Rabat et je pense d'ailleurs qu'ils peuvent faire plus si bien que le Maroc ne pourra faire face pour longtemps, surtout avec la crise qu'il vit. Je pense que l'ONU a plus à gagner en appliquant ses propres résolutions relatives au conflit, c'est-à-dire imposer le droit international et la légalité, tout en respectant celui du peuple sahraoui à l'autodétermination. Et l'administration américaine a elle aussi une chance de faire quelque chose de mieux pour concrétiser la vision d'Obama, qu'il ne cesse de déclarer, à savoir une solution au conflit qui donne aux Sahraouis une chance de voter librement et démocratiquement dans un référendum organisé par l'ONU et qui laisse le choix à ce peuple de décider du destin de son pays. Cela peut se concrétiser pas nécessairement avec le plan Baker, il y a aussi le plan initial de 1991, qui reste toujours applicable.