Comme tout conflit, surtout quand il en vient à être médiatisé, celui opposant les dockers du terminal à conteneurs du port d'Alger à la direction de leur entreprise, Djazaïr Port World (DPW), a suscité beaucoup d'informations contradictoires, de commentaires et inévitablement, en ce cas précis, alimenté moult rumeurs. Bien qu'il reste quelques problèmes en suspens, notamment la réintégration de quelque 80 dockers encore en dehors de l'entreprise, le conflit semble s'acheminer vers sa résolution définitive. Il aura fallu pour cela l'intervention du ministère des Transports, de la Centrale syndicale, par l'intermédiaire du coordinateur national des syndicats des ports d'Algérie, du Syndicat du Port d'Alger et, bien entendu, la bonne volonté des deux principaux protagonistes. Le Temps d'Algérie a voulu faire le point sur ce conflit qui a défrayé la chronique et a bénéficié, pour ce faire, du témoignage de Moussa Achour, pilote maritime de métier, et l'un des trois syndicalistes délégués par le Conseil syndical du Port d'Alger, en pleine grève, avec pour mission «de représenter les travailleurs de DP World Djazaïr au sein du conseil d'administration, d'une part et, d'autre part, de préparer rapidement la mise en place d'une section syndicale ainsi que du comité de participation, conformément aux instructions données par le secrétaire général de l'UGTA et le coordinateur national des Syndicats des ports d'Algérie». Cette désignation de Moussa Achour et de deux autres membres du Conseil syndical du Port d'Alger, en l'occurrence Guettouche Ahmed et Boudissa Saad, visait, bien que tardivement et dans le feu de l'action, à combler un vide d'où a découlé, en grande partie, l'éclatement du conflit : l'absence d'une structure (section syndicale) représentative des travailleurs de DP World Djazaïr. Les protagonistes du conflit : les dockers et leur entreprise Commençons par l'entreprise, la DP World Djazaïr, qu'il serait plus correct d'appeler Djazaïr Port World, selon Moussa Achour. Cette entreprise récemment créée est issue d'un contrat de partenariat entre l'entreprise portuaire algérienne, l'Epal, et l'entreprise émiratie, la Dubai Port World, DPW en abrégé, un consortium qui gère quelque 46 ports à travers le monde. Le capital de l'entreprise est partagé à parts égales entre les deux partenaires. Sa mission est de gérer le terminal à conteneurs d'Alger, le plus important du port après celui voué aux activités liées au pétrole. Il dispose de 4 quais et de 9 postes, c'est-à-dire le nombre de bateaux qui peuvent accoster en même temps. Le partenaire émirati a été choisi pour sa grande expérience et son savoir-faire dans la gestion des ports. La société est dirigée par un directeur général émirati, Mohamed Khadar, membre du conseil d'administration où siègent équitablement des représentants des deux sociétés mères. Les travailleurs, eux, exerçaient à l'Epal avant d'être transférés dans la nouvelle entreprise. L'ensemble des membres du personnel se chiffre à plus de 600, dont 260 dockers. Aux origines du conflit Il y a lieu de préciser que les différentes grèves et arrêts de travail ont affecté le fonctionnement de la nouvelle entreprise. Cependant, il n'y a eu aucune retenue sur salaire, encore moins de licenciement.Pour Moussa Achour, le conflit a éclaté car les dockers n'avaient pas de représentants pour porter leurs doléances. Cela signifie que les travailleurs, ce qui est bien connu dans les sciences de gestion (management), ont agi sous l'impulsion de leaders informels, lesquels leaders de surcroît manquaient d'expérience syndicale. Or le collectif des travailleurs devait, dès le démarrage de l'entreprise, avoir des délégués au sein du conseil d'administration, puisqu'il était prévu que «deux membres de droit représentant les travailleurs siègent au sein du conseil d'administration de cette société conformément à la législation en vigueur». Il s'agit là d'une directive énoncée dès décembre 2008, et non appliquée encore au déclenchement de la grève en juin 2009. Dans le cas contraire, la grève aurait-elle pu être évitée ? Cela est tout à fait plausible. Il n'en demeure pas moins qu'au vu des griefs exprimés par les grévistes, il s'agit aussi, et peut-être surtout, d'une espèce de résistance au changement.En effet, passés de l'Epal à la DPW, les travailleurs se sont vus pris dans un rythme de travail tout à fait différent, le premier changement auquel il leur fallait s'adapter étant celui du travail continu, c'est-à-dire 24h/24, en équipes de 3x8. Cette difficulté d'adaptation était apparemment attendue par les deux partenaires de la société puisqu'il était prévu une période probatoire de deux ans, au bout de laquelle quelque 20% du personnel devait être retransférés à l'Epal s'ils ne s'adaptaient pas au nouveau rythme de travail. Les travailleurs, principalement les dockers, en tout cas certains d'entre eux, ont eu vent de cette clause. Emmenés par des leaders informels et impatients, ils ont exigé leur retour à leur société mère. Aussi, ont-ils carrément boycotté une réunion organisée par l'union locale d'Alger-Centre, au cours de laquelle devait être installée leur propre section syndicale, en exigeant la présence du directeur général qui ne pouvait s'y rendre. La suite est connue : grèves et surenchères médiatiques, avant que ne vienne l'apaisement. De certaines contrevérités Moussa Achour a tenu à corriger certaines contrevérités propagées par des médias ou par des rumeurs. Ainsi, DPW n'a pas recruté des Indiens et des Pakistanais pour remplacer les grévistes, parce qu'il fallait bien parer à l'urgence, mais a procédé à l'embauche d'une centaine d'Algériens. Quant aux Pakistanais, il s'agit de 5 formateurs de cette nationalité exerçant régulièrement à l'entreprise dès le départ. Le dernier problème à résoudre reste la réintégration des 80 dockers encore non en poste. Il est prévu de les réembaucher par groupe de 20. Le premier a été accueilli hier. Le second le sera samedi. Les syndicalistes, à l'instar de Moussa Achour, y veillent.