Les récifs coralliens tropicaux présentent une grande hétérogénéité physiographique et anatomique. Cette hétérogénéité est, pour une grande part, définie par les conditions ambiantes qui ont régné à chaque étape du développement de l'édifice récifal et par les vicissitudes que l'édifice a subies au cours de son histoire. Par suite, l'analyse de la composition et de la répartition des populations coralliennes et de la structure interne d'un récif permet d'appréhender certains changements climatiques, à travers leurs expressions océanographiques, en particulier, les variations du niveau marin et les évènements hydrodynamiques violents (tempêtes et cyclones). 1 - L'enregistrement des variations du niveau de la mer Le géologue dispose d'un ensemble d'indicateurs bathymétriques pour estimer qu'elles ont été les positions occupées par le niveau marin dans le passé (phénomène appelé eustatisme), parmi lesquels les plus performants sont les platiers récifaux et les micro-atolls en position émergée et l'agencement des communautés coralliennes à l'intérieur des corps récifaux. Un platier récifal correspond à la partie sommitale et aplanie d'un récif corallien qui a atteint le niveau de la mer. Il se présente sous la forme d'une surface subhorizontale construite par des colonies coralliennes plus ou moins coalescentes, Le plan ainsi défini matérialise la position du niveau moyen des basses mers de vives eaux. Par ailleurs, à la surface des platiers, on rencontre souvent des colonies coralliennes massives et hémisphériques, dont la partie supérieure a été nécrosée, suite aux émersions subies lors des marées basses. La forme générale de ces colonies à sommet arasé rappelle celle des récifs circulaires (atolls), aussi, les a-t-on qualifiées de micro-atolls. La figure montre un platier récifal lors de basses mers de vives eaux, dominé par des colonies en forme de micro-atolls (île Raine, nord-est de la Grande Barrière récifale d'Australie). La surface sommitale d'un micro-atoll constitue un indicateur de la position du niveau moyen des basses mers. De nombreux littoraux tropicaux possèdent des platiers et des micro-atolls émergés d'âge varié (de quelques milliers d'années à plus de 500 000 ans). Dans les secteurs considérés comme tectoniquement stables, ces platiers marqueraient la position d'anciens stationnements de la mer, supérieurs au niveau actuel. C'est le cas des platiers datés de 120 000 à 130 000 ans BP (dernier stade interglaciaire) qui sont situés actuellement à une altitude de +2 à +6 m le long de continents (Brésil, Floride, Bahamas, Mozambique, Australie occidentale) et de micro-continents (Seychelles, Madagascar). Sur certains atolls des Tuamotus, proches des îles de Tahiti et de Moorea (Polynésie Française) et soulevés par effet d'arche (bombement de la croûte océanique induit par la surcharge d'îles volcaniques situées à la périphérie des atolls), on rencontre des platiers émergés, âgés de moins de 5000 ans BP et situés quelques décimètres au-dessus du platier actuel. La figure montre un platier récifal émergé à l'île de Makatea (nord-ouest des Tuamotus, Pacifique central) Dans les régions affectées par de fortes surrections, les platiers émergés présentent l'avantage d'être étagés sous la forme de terrasses bien différenciées, la terrasse la plus récente occupant l'altitude la plus basse. Malgré le caractère composite du signal (enregistrement de la composante eustatique et la composante tectonique locale), il est relativement aisé de reconstituer les positions successives du niveau marin. Connaissant la vitesse moyenne de surrection, on peut estimer, par référence à la position actuelle du niveau marin, la position bathymétrique occupée par chacun des platiers récifaux au moment de leur formation. Maints secteurs tropicaux, possédant des récifs coralliens étagés parfois jusqu'à des altitudes de plusieurs centaines de mètres, ont ainsi servi de support pour estimer l'amplitude des variations eustatiques au cours du quaternaire. C'est le cas, le long des marges actives (la Barbade, Antilles françaises, Jamaïque dans l'Atlantique, îles japonaises des Ryukyus, îles indonésiennes de Sumba, Sumatra, Timor, Péninsule Huon en Papouasie-Nouvelle Guinée, îles Vanuatu et Salomon, dans le Pacifique) où les zones côtières sont fréquemment soulevées par le bombement de la croûte terrestre le long de la zone de plongement d'une plaque de la lithosphère sous une autre. La figure montre des terrasses récifales bordant la Péninsule Huon (extrémité orientale de la Papouasie-Nouvelle Guinée, Pacifique occidental). De même, il est possible de reconstituer les mouvements du niveau marin à partir de l'analyse de la composition de communautés coralliennes qui ont été extraites par des forages carottés réalisés à travers les édifices récifaux. Certaines populations de coraux vivent dans des intervalles bathymétriques très stricts, compris entre la surface et 5 à 6 m de profondeur, elles ont aussi la capacité de croître verticalement à des vitesses de l'ordre de 10 à 20 mm/an, ce qui leur permet de compenser et de suivre aisément tout mouvement d'élévation du niveau marin. Ces communautés se maintiennent en permanence au voisinage direct de la surface de la mer et constituent, à ce titre, de bons paléobathymètres. C'est le cas des communautés dominées par les coraux à branches robustes (Acropora robusta, A. humilis, A.palifera , Pocillopora eydouxi, P. verrucosa dans la province indo-pacifique et Acropora palmata dans la province caraïbe). La figure montre une section de carotte constituée de coraux à branches robustes, emballés dans un sédiment calcaire (atoll de Fangataufa, Tuamotus). A partir de la courbe de croissance de telles communautés, il est aisé de construire la courbe des variations du niveau marin. La figure 17 est une illustration de l'utilisation que l'on peut faire, à partir d'un forage (ici, à travers le récif barrière de l'île de Tahiti, Polynésie française, Pacifique central), de coraux en tant que paléobathymètres (en l'occurrence, coraux à branches robustes du groupe Acropora robusta). Dans un premier temps, on construit une courbe dite de croissance récifale ( en trait plein sur la figure). Les points de construction sont définis sur la base de la position stratigraphique occu pée, dans le forage, par chaque échantillon corallien et sur son âge (obtenu par les méthodes radiochronométriques) ; autrement dit, on construit une courbe «profondeur-âge». Dans un deuxième temps, en tenant compte de l'intervalle de profondeur dans lequel les Acropores ont pu croître (0-6 m), on construit une courbe restituant la position moyenne du niveau de la mer par rapport à la position de chaque échantillon corallien. Les barres verticales matérialisent l'intervalle bathymétrique dans lequel chaque Acropore échantillonné a pu croître. La courbe ainsi obtenue (dite courbe de remontée du niveau marin, ici en traits pointillés) est considérée comme une représentation fiable des variations eustatiques pour les derniers 14 000 ans. Les encadrés MWP 1-A et MWP 1-B correspondent à deux débâcles glaciaires majeures (fontes partielles, mais brutales des calottes glaciaires de l'hémisphère nord et de l'Antarctique) qui se seraient manifestées respectivement il y a 14 000 et 11 500 ans. Noter que le récif actuel, qui a commencé à se développer voici 14 000 ans, repose sur un récif plus ancien, d'âge pléistocène (probablement âgé de 120 000 ans environ). Quel est l'utilité de reconstituer les variations passées du niveau marin pour la connaissance de la dynamique du climat ? Les cycles d'élévation et de chute du niveau marin, notamment au cours du Quaternaire, sont liés respectivement à des périodes de réchauffement (stades dits interglaciaires) et à des périodes de refroidissement (stades glaciaires). Ces cycles sont contrôlés par les variations de position de la Terre par rapport au Soleil ; c'est la théorie astronomique ou théorie orbitale des climats (ou encore théorie de Milankovitch, du nom du scientifique qui l'a proposée). Or l'analyse détaillée des variations du niveau de la mer pendant les dernières centaines de milliers d'années a mis en évidence, aussi bien pendant les stades glaciaires qu'interglaciaires, des changements rapides, de forte amplitude (jusqu'à plusieurs dizaines de mètres) et de durée variable (de quelques centaines à milliers d'années) qui sont apparemment inexplicables par la seule théorie orbitale. Ces changements ont été qualifiés de suborbitaux. Cela a contraint les climatologues à envisager l'intervention d'autres facteurs dans le contrôle de la dynamique du climat à l'échelle planétaire (notamment, la forte instabilité des calottes glaciaires, liée à l'injection de dioxyde de carbone dans l'atmosphère…). 2 - L'enregistrement des tempêtes et des cyclones Les observations sur le réchauffement climatique en cours semblent indiquer que l'élévation de la température tend à augmenter l'intensité et peut-être même la fréquence des tempêtes et des cyclones. Selon les modèles de simulation climatique, une augmentation de 2°C de la température moyenne de l'air s'accompagnerait d'un accroissement de 5 à 10% de l'intensité cyclonique. Il est donc intéressant de vérifier, à partir d'archives sédimentaires, si le réchauffement climatique, qui a accompagné la dernière phase de déglaciation (derniers 10 000 ans), a favorisé l'activité de cyclones de forte intensité. De tels cyclones développent une énergie suffisante pour détruire partiellement les récifs coralliens et conduire à l'accumulation d'épais dépôts de débris coralliens le long des littoraux d'arrière-récif.