Le soleil de juillet a chassé les brumes d'Oran l'hivernale. La ville se réveille avec la sensation d'insouciance et de liberté qui caractérise l'été qui s'est installé avec ses cohortes de vacanciers venus des quatre coins du pays. Aujourd'hui, les rues baignées de senteurs marines offrent un véritable melting-pot où se mêlent tous les accents, tous les teints et tous les styles. La ville s'offre pour mieux étreindre, le soir venu, les estivants la peau encore brûlée par le soleil d'une journée passée à la plage. C'est ainsi que s'apprécient les balades dans Oran la noctambule qui ne revient à la vie qu'au crépuscule, quand les rayons du soleil déclinent à l'horizon. Le boulevard de l'ALN (ex-Front de mer) devient le lieu de ralliement de tous ceux qui savent apprécier les charmes de la cité. La circulation automobile devient très dense. La longue procession de voitures baignée dans un concert de klaxons orne le promontoire d'une myriade de couleurs et d'une floraison de sons. C'est l'été et c'est comme ça qu'on l'apprécie. Affalé sur le siège d'une voiture décapotable, les tympans envahis par des flots de décibels d'une musique synthétique, on fait le fier, le paon sur le boulevard. C'est le règne de la frime et du m'as-tu-vu. C'est la marque des juillettistes, l'empreinte des aoûtiens, qu'on trace au fer chauffé à blanc d'un égocentrisme à fleur de peau. Je me balade sur le Front de mer, au volant de ma tire, donc j'existe, c'est l'ultime satisfaction de ceux qui créent un bouchon monstre chaque soir de cette saison estivale au boulevard du Front de mer. C'est la ville qui déambule La file de voitures qui bloque l'avenue avance à un rythme lent, très lent, mais qui ne fait pas réagir les conducteurs, qui derrière leur volant contemplent nonchalamment le chapelet qui s'étire à perte de vue. «C'est le prix à payer pour une balade sur le boulevard du Front de mer.» Sur les trottoirs, les piétons se bousculent pour se frayer un chemin. On se marche parfois sur les pieds, mais on accepte pour ne pas déranger le sentiment de fierté qui empreint les lieux. C'est la ville qui déambule, ce sont les vacanciers qui exhibent leur teint hâlé sur le Front de mer. Les filles en groupes ou seules marchent sans but. Elles se libèrent, l'espace de cette promenade, des carcans du ménage, du regard inquisiteur d'un frère trop barbant et des qu'en-dira-t-on. Elles marchent pour mieux jouir d'une liberté éphémère qu'elles voudraient éternelle. Des couples, se tenant parfois par la main, ornent le décor des nuits du boulevard du Front de mer. Parfois assis sur les bancs publics, ils ne se bécotent pas comme les amoureux de Georges Brassens. Ils sont assis, se tiennent par la main, se boivent des yeux. Ils sont là, assis, le regard perdu au loin, se racontent des histoires, construisent des châteaux dans un monde féerique, leur monde. Ils sont avachis sur la balustrade à se murmurer des serments, que la brise automnale chassera, pour jeter leurs cœurs dans l'abîme de l'oubli. Femmes en promenade Des femmes qui ont fui l'espace de cette promenade la corvée de la maison se retrouvent en groupes, pour reprendre un commérage que les tâches ménagères avaient interrompu à l'heure du dîner.Volubiles, elles occupent l'esplanade qui marque la fin du boulevard. Insouciantes, elles n'osent que des regards furtifs vers la marmaille qui fait beaucoup de boucan par des jeux improvisés. Les enfants tels des chevaux en furie ont la bride abattue. Ils vont et viennent, courent, s'agrippent aux passants, marchent, s'arrêtent, se faufilent dans le flot de voitures avant de revenir s'accrocher aux jupons de leurs mères. Les terrasses de café et de crémeries connaissent à ces heures de la nuit la grande affluence. On y vient pour déguster une crème, un sorbet ou tout simplement pour se montrer. Qu'il est valorisant pour certains de s'affaler sur une chaise des crémeries de la place Bamako. «Ça fait branché et par les temps qui courent, il vaut mieux venir ici où le service est d'une bonne qualité», dira Saïd, un habitué des lieux. Chebs en herbe Ici on ne se prive pas. On déguste le dernier pot de crème qui fait fureur à Las Ramblas, on se rafraîchit avec l'esquimau que s'arrachent les Parisiens ou on se rince le gosier avec le jus made in rapporté dans les bagages d'un voyageur revenu en vacances.Les terrasses des autres cafés ne désemplissent pas elles aussi. Toutes les tables sont prises d'assaut dès le crépuscule. Les garçons n'ont pas de répit. Ils vont et viennent dans un ballet incessant entre les tables. Ils ne reprennent leur souffle qu'au comptoir, quand ils attendent qu'on leur serve les commandes des clients.Au loin, sur le côté Ouest du boulevard, on se dispute le balcon qui surplombe le théâtre de verdure où se presse une foule composée de jeunes et de moins jeunes. Ici, chaque soir que Dieu fait, la commune organise des soirées. De jeunes chebs, au talent parfois prometteur, s'y produisent, au grand bonheur d'une jeunesse venue des quatre coins du pays. Ces derniers dans une symbiose avec le public, parfois feinte, se donnent des airs de stars, au grand dam des organisateurs tenus par un timing. Ils osent des retours sur scène quand ils se font rappeler par le public, font monter sur les planches des jeunes filles qui ne se privent pas de faire des pas de danse ou de se photographier avec ces stars d'une nuit. Ils font semblant et ils le font si bien puisque dans leur tête, ils sont des Khaled, Mami ou encore Bilel en devenir. Jusqu'à l'aube naissante Sur le boulevard, la présence de policiers, en civil ou en tenue, rassure. Les pickpockets et les voyous perdent le soir le terrain. Ils n'osent pas s'aventurer dans le boulevard malgré la foule qui affiche avec forfanterie son aisance.Ces lucioles qu'attirent la fraîcheur et les lumières du boulevard du Front de mer ne rentrent chez elles qu'à l'appel à la prière du fedjr. Le chapelet de voitures s'égrène alors, prend de la vitesse pour livrer la voie aux camions de nettoyage de la commune. Les rares piétons encore en maraude se pressent pour retrouver leur lit et retrouver les bras de Morphée. Le boulevard, vide, s'étire pour livrer ses moindres recoins aux rayons du soleil qu'annonce déjà une aube naissante.