La brèche et le rempart de Badr'Eddine Mili paru récemment aux éditions Chihab au titre clairvoyant annonce le ton de la revendication nationale due à une colonisation de peuplement et celui de la résistance du peuple algérien. Ce roman historique s'imprègne d'une saga familiale des années 1940 sur fond des prémices de lutte pour l'indépendance. Sans verser dans un passéisme béat, l'auteur Badr'Eddine Mili remet à jour cette époque à jamais révolue afin de fixer dans le temps et graver dans les mémoires ces évènements passés. Sans prétention aucune, il n'est pas historien mais se fond dans l'histoire du pays pour conter cette saga à travers la vie, les aventures et les péripéties de la famille Hamadène dont Stopha est le héro principal. Il tente de décrypter cette société sans magnifier ni amoindrir cet environnement. Il fait une introspection de cette période dans la bourgade Aouinet el foul, un quartier de la ville de Constantine où la vie se déroule comme un fil avec des faits quotidiens et des événements comme des naissances, mariages, décès et la guerre. Dar Errih, la maison de famille des Hamadène est un réceptacle d'incidents, de faits, de joies, de malheurs, d'espoir, d'illusions et de désillusions. De Constantine à Alger Le récit débute avec le débarquement américain et la naissance de Mustapha dénommé Stopha dans la grande famille Hamadène dont la mère Zahia est surnommée Zouaki vouant un amour incommensurable à son fils Stopha, l'aîné d'une fratrie de sept enfants. C'est à travers son enfance et son adolescence jusqu'à l'université à Alger après un baccalauréat avec mention que l'auteur dévide son histoire romancée comme des réminiscences. Au-delà gravitent tous les faits et évènements ayant secoué ce quartier pittoresque de la ville des Ponts. Badredinne Mili fait une incursion dans les années 1940 pour conter les souvenances qui ont rythmé cette époque, où Algériens et Sépharades vivaient en harmonie jusqu'au déclenchement de la guerre. C'est le Constantine de Raymond Guenassia, le malouf, les soirées entre amis de différentes confessions, puis c'est Alger que l'on découvre avec Blond Blond, le square Bresson, l'avenue de la Marine, le café Tantonville où Stopha réside pour y étudier les sciences politiques . «Son principal héros Stopha est l'héritier de la vieille blessure de la brèche, partagé entre la culture de survie des Anciens et l'école broyeuse des âmes de l'Autre». A ce sujet, l'écrivain annonce par le biais d'un personnage : «Mes enfants, nous avons pêché par trop de foi dans l'humanisme de l'Occident. Nous avons cru à ce que nous racontaient Robespierre, Voltaire et Rousseau et nous avons oublié les nôtres. Ce fut une erreur. Il faut cesser de tergiverser. Décidons-nous ! Nous allons vers des jours qui exigent que l'on soit vigilant. Les français ont de la ressource. Leur sac à malices est inépuisable. Ils sont capables de faire sécession pour conserver ce territoire. Préparez-vous seulement à prendre la relève comme en Tunisie, parce que tout de même, nous n'allons pas laisser le pays tomber entre les griffes des analphabètes qui n'en feront qu'une bouchée ! Vous voyez ce que je veux dire ?» Une histoire bien romancée Loin de toute morale, il chemine aux côtés de personnages avec une extrême hauteur de vue. Avec la perspicacité et l'impartialité de l'historien, Mili a su avec finesse romancer cette époque trouble. Ce récit reste haut en couleur pleine d'intensité et de vigueur malgré les innombrables détails. Doué d'un extrême sens de l'observation, l'auteur dit ces petites choses de la vie qui prennent tout leur sens. Est-il un nostalgique des temps révolus ? Assurément non. Mili a su dépeindre cette atmosphère des années 1940 où par son phrasé prolifique en détails, il a fait revivre cette époque avec ses illusions et désappointements. S'il interroge l'histoire à travers cette saga familiale, il le fait avec discernement. On lui doit l'art d'être un conteur hors pair. Cet ouvrage d'une forte tonalité révèle le penchant de l'écrivain à savoir transmettre un pan de l'histoire du pays. D'ailleurs, ce roman truculent gagnerait à être porté à l'écran. Tous les éléments d'une production cinématographique s'y retrouvent. Son titre est d'une subtilité qui renvoie à la colonisation et à la résistance. A lire pour mieux comprendre cette époque dans la ville de Constantine