on entre dans l'histoire d'un pays en participant à sa libération ou à sa reconstruction. Le faussaire, lui, n'y entre jamais. Bahia Allallou, la présidente de la section correctionnelle du tribunal de Hussein Dey (cour d'Alger), avait du mal à faire régner l'ordre entre les trois justiciables : deux inculpés et une victime. Le faux et usage de faux de l'article 223 du code pénal est la véritable «star» de ce procès qui a vu de nombreux curieux scandalisés par de tels comportements. «Alors, pourquoi ces plaintes et ces poursuites», lance, en regardant du côté de Halim Boudra, le représentant du ministère public, lequel savait que le dossier était solide et que donc le délit y était. - «Madame la présidente, cet homme et son compagnon m'avaient abordé il y a quelques mois pour me proposer une attestation d'ancien moudjahid ou plus exactement ancien ‘‘moussabel''.» - «Et on a vite sauté sur l'occase. Et pourtant, vous êtes nés en 1945, donc vous aviez 9 ans le 1er novembre 1954», jette froidement la juge, histoire d'entrer dans le vif du sujet. - «Non, en 1960, j'avais quinze ans et j'ai participé aux manifestations de décembre 1960.»- «Bon, ça va, vous n'allez pas nous refaire une page de notre riche révolution», coupe la présidente, qui pria l'avocat de ne pas perturber les débats en soufflant des mots à l'oreille du second inculpé. Le second inculpé de faux et usage de faux va vite se mettre à table et reconnaître le délit pour faire gagner du temps au tribunal : «J'ai été stupide. Franchement, je n'ai pas pensé aux honneurs d'entrer dans l'histoire de notre pays? comme l'ont fait des milliers depuis le 19 mars 1962.» «Vous, vous aviez voulu faire mieux. Vous aviez pris les 10, 11 et 12 décembre 1960 !», ironise Bahia Allallou, la présidente qui a cru utile d'arrêter là les souffrances des deux inculpés, âgés de soixante-quatre ans, grands-pères et retraités ! Prié de requérir, debout, Boudra, le procureur, estime que «tout individu qui se fait délivrer indûment ou tente de se faire délivrer des documents désignés clairement dans l'article 222 du code pénal en faisant de fausses déclarations, soit en prenant une fausse qualité, va voir une peine lui être infligée. Et cette peine va droit à un emprisonnement de trois ans et d'une amende de cinq cents à cinq mille dinars». Le parquetier demande six mois de prison ferme. Auparavant, la victime, ce vieux qui avait vu ses coordonnées utilisées dans le «recueil» des renseignements pour le témoignage, s'est désisté de ses droits. «Je ne demande rien. Je m'en remets à Allah pour ce qu'ils ont fait», marmonna-t-il entre ses dents, avant de lancer : «Qu'Allah vous punisse !» - «Non, victime ! Vous ne voulez pas de réparation, ce n'est pas une raison pour injurier les gens ici, le tribunal est souverain et ne permet aucun écart», tonne la juge, qui prend plaisir à faire durer le suspense, en laissant le verdict pour la semaine suivante. La mise en examen du dossier est effectivement tranchée. Les deux inculpés avaient vu une semaine auparavant leur avocat plaider les seules circonstances atténuantes. «Madame la présidente, cette histoire de faux moudjahidine, quarante-sept ans après le cessez-le-feu, a donné plusieurs sombres et néfastes idées à ceux qui ont raté l'unique occasion de leur vie de participer à la libération du pays. Donc le malheur de ceux qui rêvent est qu'ils restent au stade du seul rêve, car la réalité la voilà : des ennuis, rien que des ennuis. Et la défense aimerait tant l'octroi des circonstances atténuantes», avait plaidé l'avocat qui allait baisser les épaules à la suite du verdict sec : «Deux mois de prison ferme.» Et les deux inculpés ont dix jours pour interjeter appel.