Du Kenya - première étape de son long périple africain - et où vit toujours une partie de la branche familiale africaine des Obama, jusqu'au Cap-Vert, Hillary Clinton visitera, en 11 jours, pas moins de sept capitales africaines, réparties d'est en ouest du continent noir. Des pays tous situés dans la partie subsaharienne du continent et qui retiennent désormais, plus que jamais, l'attention des stratèges américains chargés de la politique étrangère des Etats-Unis. Après la visite, il y a moins d'un mois à peine, d'Obama au Ghana, le pays du grand Nkrumah, le père spirituel de Patrice Lumumba, si hostile aux Américains, Hillary Clinton aborde le continent noir accompagnée d'une impressionnante délégation comprenant beaucoup d'hommes d'affaires, éventuels investisseurs. Ce périple sera en effet de renforcer le discours qu'Obama avait adressé aux Africains et à leurs dirigeants, lors de son récent voyage ghanéen, concernant la «bonne gouvernance et la nécessité pour les Africains de se prendre en charge». L'Afrique, une nouvelle priorité pour l'Amérique ? Mais aussi le gage de tenir la promesse faite par Obama de s'intéresser au continent noir, surtout pour ce qui est de la promotion de la démocratie, des droits de l'homme et de la bonne gouvernance en Afrique, si chers à l'Administration américaine. Hillary Clinton, en prenant son bâton de pèlerin pour se rendre en terre d'Afrique, le fait-elle à l'image du bon Samaritain ? Malgré le sang africain qui coule dans les veines du locataire de la Maison-Blanche et malgré la profession de foi d'Hillary, cette saga africaine ne semble pas si innocente que cela. En effet, et même si l'Afrique n'a pas été au cœur de la campagne présidentielle d'Obama, le continent africain devient désormais un passage obligé pour le locataire de la Maison-Blanche. Pour plusieurs raisons. La première qui saute à l'esprit est le fait que les Etats-Unis sont confrontés à l'une de leur plus grave crise économique et financière de ce dernier siècle et qu'ils doivent redresser la barre de toute urgence pour éviter une détérioration historique de leur économie capitaliste en déclin. Le business, toujours le business Une économie d'ailleurs souvent maintenue hors de l'eau à cause ou grâce au fameux conglomérat militaro-industriel qui occupe bon an mal an près de 10% de la population active américaine et est donc un «partenaire» incontournable pour tout dirigeant américain. Un complexe qui, comme l'indique son nom, a besoin de guerre pour se nourrir et nourrir ses personnels… On aura tout compris s'agissant des foyers de guerre qui éclosent ci et là à travers le monde, en fonction des nécessités de l'heure et qui ont besoin d'être alimentés en armement.D'ailleurs, en cela, le continent africain est un marché des plus juteux. Et certaines régions d'Afrique sont souvent l'occasion de faire d'une pierre deux coups, car elles permettent de faire main basse sur des richesses très convoitées, en créant des zones de conflits qui deviennent autant de marchés d'armes… La boucle est ainsi souvent bouclée grâce à des seigneurs de la guerre, incontournables et meilleurs alliés de sociétés multinationales qui n'ont aucun scrupule à piller les richesses nationales de ces pays. Et à ce titre, les compagnies pétrolières américaines et «des multinationales comme Shell, BP et Chevron -qui avait appelé un de ses pétroliers du nom d'un des membres de son conseil d'administration, Condoleezza Rice - ont pillé impitoyablement le delta du Niger pendant toute une génération». C'est tout dire ! Diamants rouges à cause du sang versé pour les voler - du Liberia, de la Sierra Leone ou du Congo, uranium, hydrocarbures… Dans bien des cas, les ressources naturelles - souvent fabuleuses du sous-sol africain - sont convoitées et volées avec la complicité et l'avidité de certains dirigeants ou responsables africains. Alors, Hillary Clinton s'en tiendra-t-elle seulement à sa profession de foi ? Ira-t-elle jusqu'à évoquer avec ses hôtes tous ces maux qui minent l'Afrique et rongent ses peuples à coups d'épidémies de malaria, de sida, de tuberculoses, de lèpre, de conflits ethniques religieux et communautaires, de malnutrition, d'insécurité alimentaire, de sécheresses, de famines et de viols ? Trouvera-t-elle les mots qu'il faut face à des dirigeants qui, contre toute attente, espèrent des actes de cette Amérique dont certains d'entre eux se sont laissé bercer par l'«American Dream» ? Les richesses du continent déjà inventoriées Les hommes d'affaires qui accompagnent la secrétaire d'Etat connaissent bien leurs dossiers. Le Pentagone leur a sûrement fourni toutes les données concernant nos ressources du sous-sol grâce aux photos prises par des «satellites espions» qui balayent depuis des décennies notre continent. Ils pourront ainsi négocier au mieux les investissements les plus rentables pour leurs sociétés et pour l'Amérique. Mais il faudra des préalables pour en arriver là et c'est là toute l'intelligence du discours d'Obama à Accra, il y a moins d'un mois. En effet, le président américain avait appelé les Africains «à mettre fin aux pratiques antidémocratiques et brutales de la corruption, qu'ils pouvaient vaincre la maladie et les famines en utilisant les aides convenablement et qu'ils pouvaient en finir avec les conflits». "L'histoire est en marche, mais les choses ne peuvent se faire que si chacun d'entre vous assume la responsabilité de son avenir. Ce ne sera pas facile, cela demandera du temps et des efforts. Il y aura des moments difficiles, des échecs, mais je peux vous promettre ceci, l'Amérique sera à vos côtés à chaque étape, en tant que partenaire, en tant qu'amie», avait aussi asséné Obama lors de cette visite éclair au Ghana. Poser le bon pied en terre d'Afrique Un message on ne peut plus clair qui, s'il est suivi par les Africains, ouvrira la voie à des relations nouvelles et à un partenariat des plus fructueux. Cette vérité de La Palice est l'indispensable préalable pour que les Etats-Unis puissent mettre le bon pied en terre africaine. Et Hillary Clinton l'a rappelé au cours de sa première tournée mercredi au Kenya en soulignant : «S'ils veulent attirer les investisseurs, les gouvernements africains doivent être en mesure de lutter contre la corruption et faire respecter l'Etat de droit.» Les Etats-Unis, pour leur part, ne peuvent plus se permettre le luxe de s'engager directement dans un quelconque conflit - embourbés comme ils le sont en Afghanistan et en Irak - même si l'Afrique pour eux a pris une nouvelle dimension, avec, entre autres, la lutte contre le terrorisme islamiste, la stabilisation régionale - Sahel - et la sécurisation des voies énergétiques ; les USA consomment plus du quart du pétrole mondial… Trouver un siège pour l'Africom Il faut donc concevoir d'autres stratégies et rechercher de nouvelles voies de coopération. C'est la mission essentielle d'Hillary Clinton actuellement en Afrique, un continent aux fabuleuses ressources et un marché d'importance vitale pour qui saura s'y implanter. Hillary abordera donc certainement les questions de terrorisme (Somalie, Corne de l'Afrique notamment), de la démocratie et du développement des marchés, mais aussi de la sécurité énergétique avec ses partenaires. Au cœur de ses préoccupations, un vieux dossier de l'ère Bush ressortira également car devenu entre temps une carte stratégique : la présence militaire américaine en terre d'Afrique et surtout l'Africom, rejeté par l'ensemble des pays africains qui ne veulent pas de cette «unité de commandement américain pour l'Afrique» sur leur sol, malgré tous les dollars que l'installation d'une telle base suggère. Des observateurs avertis avancent justement que si la dernière escale d'Hillary Clinton est Praia, la capitale du Cap-Vert, un pays pacifique mais très pauvre, c'est que justement cette île pourrait «abriter» le siège de l'Africom, cette force militaire que les Américains cherchent à déployer en Afrique… Comme on peut le voir, la Saga Africa d'Hillary Clinton nous réservera bien des surprises. Comme celle de savoir ce que pense l'empire du Milieu de cette offensive américaine en Afrique ? Les Etats-Unis ne cherchent-ils pas tout simplement à «s'implanter» eux aussi en Afrique pour concurrencer la Chine qui a déjà énormément investi en Afrique et occupé le terrain, à bien des égards, grâce à une politique audacieuse et offensive ? Tout cela est à méditer.