A son épouse, Monique Olivier, Michel Fourniret disait qu'il «partait à la chasse». Il ne fait nul doute sur cet aspect des terribles assassinats commis par celui que l'on a surnommé «L'ogre des Ardennes» : Monique Olivier savait lorsque son mari s'en allait rechercher sa future victime. Elle aidait même son mari dans sa chasse, appâtant les jeunes filles, jouant le rôle d'alibi ou de véritable complice. Comment Monique Olivier, 55 ans, visiteuse de prison qui a rencontré Fourniret lors de son séjour à Fleury-Mérogis avant de l'épouser, en 1989, a-t-elle pu en arriver là ? Comment cette grande brune effacée, décrite par le procureur général de Reims comme une personne «craintive, très impressionnée par son mari mais pas dans une logique de remords», a-t-elle pu garder le silence si longtemps ? Pourquoi ne s'est-elle pas révoltée avant de passer aux aveux, une fois incarcérée, accusant Fourniret de dix meurtres ? Autant de questions auxquelles nous avons tenté d'apporter réponse, sachant que les études sur les femmes des tueurs ne se comptent que sur les doigts d'une main. «A ma connaissance, seul Roy Hazelwood, cofondateur de la célèbre unité de sciences comportementales au FBI, a mené une vaste enquête, à travers les Etats-Unis, sur les compagnes de violeurs et de tueurs en série», a indiqué Philip D. Jaffé, docteur en psychologie, chargé de cours à l'Université de Genève, qui a travaillé de nombreuses années en Amérique. Premier constat relevé par le docteur Jaffé, sur la base de ses lectures, de ses observations : «Ces femmes sont d'une assez grande banalité. Issues de la classe moyenne, elles ne souffrent d'aucun trouble mental avéré, n'ont pas eu d'histoire criminelle. Au premier abord, il s'agit de Madame Tout-le-Monde.» Madame Tout-le-monde ? A une différence près, tout de même : elles ont souvent été maltraitées – physiquement ou sexuellement – durant leur enfance par des partenaires préalables. Elles sont par conséquent beaucoup plus vulnérables. Et Philip D. Jaffé d'ajouter : «Moins de 50% deviennent des complices actives.» Que l'on évoque le cas de Monique Olivier ou de Michelle Martin, l'épouse de Marc Dutroux, force est de constater que ces deux femmes sont passées aux aveux bien longtemps après les faits. «Lorsque tout s'arrête, le monde dans lequel elles étaient endoctrinées s'écroule peu à peu, poursuit le spécialiste. Elles reviennent à la réalité lorsqu'elles quittent le giron machiavélique dans lequel elles se trouvaient avec leur compagnon. On remarque que ces épouses se retrouvent un peu dans la même situation que celles des femmes battues. Elles subissent graduellement un lavage de cerveau, d'autant plus facilement qu'elles-mêmes sont souvent à la recherche d'un compagnon qui puisse les structurer. Elles peuvent même trouver excitant le côté sombre de leur partenaire et elles sont presque toujours au courant de ses antécédents (problèmes de mœurs, prison, etc.)» «Elles sont dans un rapport de soumission dans lequel elles trouvent un équilibre très précaire, pathologique», confirme Michèle Agrapart-Delmas, psychocriminologue, experte judiciaire auprès de la cour d'appel de Paris. «Il y a un rapport de domination, mais en même temps elles participent et mettent la main à la pâte, ce qui révèle vraisemblablement des personnalités perverses», poursuit-elle. Au fil des ans, Michel Fourniret ou Marc Dutroux, pour ne citer qu'eux, ont réussi à refaçonner les normes sociales de leurs compagnes. «Sur le plan sexuel, notamment, par exemple en les encourageant à de nouvelles pratiques de plus en plus déviantes», constate le docteur Philip Jaffé. «Parallèlement, elles sont soumises à un isolement de plus en plus grand, sont petit à petit retirées de leur vie sociale. Leurs partenaires leur font comprendre que «les autres ne comprendraient pas». «Ces femmes sont des victimes, mais des victimes partiellement consentantes.» Philip Jaffé ajoute : «Il ne faut pas oublier qu'elles sont l'objet de menaces, de punitions. Il s'agit en quelque sorte d'un dressage. Elles deviennent captives de cette relation malsaine. Perverse. Roy Hazelwood a relevé que beaucoup de sadiques sexuels expérimentent sur leurs épouses certains comportements qu'ils accomplissent par la suite sur leurs victimes.» Hier Marc Dutroux, aujourd'hui Michel Fourniret. Le ferrailleur et le bûcheron. Deux sadiques tombés presque par accident dans les filets de la justice. Pendant un mois, le procès du pédophile belge a apporté son lot de révélations sur la personnalité du «monstre de Charleroi» et de son épouse Michelle Martin. «Le silence des agneaux» Depuis quelques jours, les enquêteurs français et belges tentent de reconstituer le parcours criminel d'un autre tueur en série, celui de Michel Fourniret. Pendant plus de dix ans, «L'ogre des Ardennes» a traqué ses victimes en demandant à son épouse, Monique Olivier, de jouer les appâts. Le parcours criminel de Dutroux et de Fourniret est aussi celui de deux femmes : Michelle Martin et Monique Olivier. Deux épouses aimantes. Deux mères de famille, complices des pires atrocités. Séduites, fascinées, vampirisées par la personnalité de leurs maris, elles en ont perdu toute humanité. L'une et l'autre ont scellé leur union en devenant les complices de rites barbares. Une forme de perversion qui suscite autant d'indignation que de curiosité. Aujourd'hui, les deux épouses se défaussent en expliquant qu'elles ont été prises au piège d'une «soumission aveugle». Les criminologues eux-mêmes avouent avoir rarement eu l'occasion de se pencher sur ce genre de déviance. La plupart du temps, les tueurs en série vivent seuls. Lorsque ce n'est pas le cas, c'est qu'ils parviennent à mener une double vie. Quand il n'était pas affairé à découper ses victimes en morceaux pour accélérer leur crémation, le célèbre Landru coulait des jours paisibles auprès de son épouse qui ignorait tout de sa sordide besogne. Les multiples conquêtes du diabolique docteur Petiot ne savaient rien, non plus, de ses activités de détrousseur et de dépeceur. Michelle Martin et Monique Olivier savaient tout des coupables activités de leurs tueurs de maris. Aucune n'a fait montre d'une quelconque compassion pour les jeunes victimes tombées dans les griffes de Dutroux et Fourniret. Pas la moindre émotion Ce ne sont pas les remords qui ont encouragé Monique Olivier à dénoncer son mari à la police. Mais la crainte de devoir subir le même sort que Michelle Martin condamnée à une peine de trente ans de prison. Les polices européennes ne disposent d'aucune étude sur les épouses et compagnes de tueurs en série. Les profilers n'excluent pas une forme de fascination perverse. «On ne devient pas la femme d'un serial killer par hasard», affirment-ils. Avant de se marier avec Michel Fourniret, Monique Olivier n'ignorait rien des déviances de son mari. C'est d'ailleurs en prison, où elle officiait comme visiteuse qu'elle l'a connu. Aux Etats-Unis, une cellule spéciale du FBI tente de percer la psychologie de ces femmes, fascinées par les tueurs en série. L'un des plus célèbres, Ted Bundy, qui a inspiré le film Le silence des agneaux, a été inondé de demandes en mariage avant son exécution en Floride, le 24 janvier 1989. Michelle Martin, 44 ans, a été reconnue coupable par la cour d'assises d'Arlon (Belgique), d'être coauteur de six séquestrations accompagnées de tortures ainsi que du viol d'une jeune Slovaque, droguée à la demande de son mari. Michelle Martin est la compagne de Marc Dutroux depuis 1981. Elle se marie avec lui en prison en 1988. Ils ont un enfant. Soumise à une expertise psychiatrique lors de sa première arrestation, elle est déclarée sous la dépendance psychologique de Dutroux, qu'elle assimile à son «Dieu». Elle laissera agoniser Julie et Melissa au fond d'une cave après leur enlèvement. Monique Olivier, 55 ans, inculpée d'enlèvement et de séquestration. Le 28 juin 2004, l'épouse de Michel Fourniret fait de terribles confidences aux policiers. Lorsqu'elle n'était pas complice des crimes, elle était spectatrice. Monique Olivier a épousé le tueur en série à sa sortie de prison. Ensemble, ils ont un enfant. Les pulsions criminelles de Fourniret décrit comme «un maniaque, prédateur à tendance pédophile» gouvernent très vite leur relation. Quelques mois après leur mariage, le couple chasse ses premières victimes. Le 11 décembre 1987, sur une route de l'Yonne, Monique Olivier prend en charge une jeune auto-stoppeuse de 17 ans pour assouvir les fantasmes de son mari.