Il y a quarante-six ans, le mardi 17 octobre 1961, des dizaines de milliers d'Algériens décident, à l'appel du FLN, de manifester pacifiquement dans les rues de la capitale pour protester contre le couvre-feu à caractère raciste qui leur était imposé par le préfet de police Maurice Papon et le gouvernement de l'époque. Olivier Le Cour Granmaison, président de l'association du 17 octobre 1961 contre l'oubli, dans un de ses articles, revient sur cette journée tragique. Le 5 octobre en effet, ce couvre-feu interdisait aux seuls "Français musulmans d'Algérie", comme on disait alors, de se déplacer entre 20h30 et 5h30, de circuler en voiture et de marcher en groupe sous peine d'être immédiatement arrêtés. Durant la nuit du 17 octobre et dans les jours qui suivirent cette manifestation, la répression fut d'une extrême brutalité. Selon l'historien Jean-Luc Einaudi, elle a fait près de 300 victimes du côté des manifestants, aucune du côté des forces de l'ordre qui n'ont pas essuyé un seul coup de feu. Certains manifestants furent tués par balles, d'autres furent froidement assassinés dans la cour même de la préfecture de police de Paris, d'autres encore furent frappés à mort après leur arrestation et leur transfert au Palais des sports, au parc des expositions et au stade de Coubertin transformés notamment, pour l'occasion, en centres de détention. D'autres furent noyés dans la Seine après y avoir été jetés par des policiers à qui Maurice Papon avait tenu peu de temps auparavant, le langage suivant : " Pour un coup reçu, nous en porterons dix ". Quoi qu'il arrive et quoi qu'elles fassent, les forces de l'ordre se savaient couvertes par le préfet. Nul doute cependant, Maurice Papon ne pouvait agir seul sans avoir l'aval du ministre de l'Intérieur, Roger Frey. De plus, sur les trente mille manifestants qui ont pris part aux rassemblement organisés en différents lieux de la capitale, le bilan tottal des interpellations s'élève, selon le rapport Mandelkern, à plus de 14 000, ce qui signifie que presque une personne sur deux a été arrêtée, frappée souvent et détenue parfois pendant plusieurs jours. En français, de telles actions, perpétrées dans les circonstances que l'on sait, porte un nom : rafle. Par leur ampleur et les moyens matériels et humain mobilisés pour les mener à bien, ces rafles qui s'étendent sur plusieurs jours, sont sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sans précédent aussi, le nombre de civils assassinés à Paris au cours de ces journées d'octobre. Décidées à tout faire pour interdire une démonstration de force des Algériens, les autorités politiques et policières ont en effet mis en place un dispositif répressif imposant, et réquisitionné plusieurs lieux dont elles savaient avoir besoin pour parvenir à leurs fins. Qui connaît aujourd'hui ces manifestations longtemps oubliées parce qu'elles furent, entre autres, occultées pour raison d'Etat et, la formule est de Jean-François Léotard, par une "histoire édifiante" qui continue, à propos de ces événements à raconter le passé en nous racontant des histoires ? Qui se souvient que c'est cette jeune cinquième République qui organisa une répression dans laquelle elle donna libre cours à sa toute-puissance meurtrière contre une catégorie "à part" de Français et, avec le plus grand des cynismes, couvrit des fonctionnaires de police après qu'ils eurent exécuté sommairement des personnes, organisé de nombreuses disparitions, pratiqué la torture et des actes inhumains pour des motifs politiques, religieux et raciaux ? En terme de contexte, en 1961, la nécessité d'une solution négociée au conflit algérien s'est imposée. Des négociations ont été officiellement ouvertes entre le gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) le 20 mars 1961. Il est hors de doute pour les participants que les négociations aboutiront à l'institution d'un Etat algérien indépendant : les discussions portent sur les conditions exactes de l'indépendance. Et pourtant, c'est à partir de l'été 1961 qu'eurent lieu les plus terribles violences que connut le territoire métropolitain pendant la guerre d'Algérie. C'est cette contradiction que met en évidence l'examen des faits qui ont conduit aux massacres du 17 octobre 1961. En août 1961 ; les rafles et les perquisitions s'intensifient, les violences et les détentions arbitraires, au faciès, se multiplient. Ce redoublement de l'offensive policière se produit alors que le FLN a cessé ses attentats à Paris et en banlieue depuis plusieurs semaines. Les attentats de l'OAS, deviennent au même moment de plus en plus nombreux ; visant parfois des hôtels où vivent des Algériens. Fin juillet 1961, les négociations entre le gouvernement français et le GPRA, ont achoppé sur la question du Sahara, la France contestant la souveraineté du futur Etat algérien sur cette région. En août 1961, le président Charles de Gaulle est prêt à céder sur cette question d'importance pour relancer les négociations. Il entend en même temps être en position de force pour négocier. C'est le sens de son geste lorsque, fin août 1961, il démet de ses fonctions le garde des Sceaux Edmond Michelet, favorable depuis longtemps à la négociation avec le FLN. Il cède ainsi à la pression de son Premier ministre Michel Debré, lequel est profondément partisan de l'Algérie française. En renvoyant Edmond Michelet, il signifie qu'il accepte le durcissement de la répression contre les "Français musulmans d'Algérie". Après quarante-six ans, la recherche de la vérité s'impose pour cette période sombre. Ce n'est qu'à ce prix que pourront disparaître les séquelles les plus graves de la guerre d'Algérie.