En dépit de la vigilance des services des douanes, plusieurs marchandises prohibées inondent le marché national. C'est le cas, entre autres, des pétards et autres produits pyrotechniques qui, bien qu'interdits, se retrouvent en quantités impressionnantes sur les étals à l'approche, durant et après la fête du Mawlid Ennabaoui. Comment et par quels moyens arrive-t-on à les faire entrer en quantités aussi impressionnantes ? La question, nous l'avons posée franchement aux responsables de la direction des douanes d'Alger-Port. Cette structure intervient, comme son nom l'indique, dans le port d'Alger par où transite l'essentiel des marchandises importées. Ses services traitent chaque jour entre 400 et 500 conteneurs, parfois jusqu'à 1200 quand les nécessités l'exigent. Cette mission va de pair avec les autres opérations routinières de déclarations, vérifications et contrôle de cargaisons. «D'une manière générale, nous dit un officier, le dispositif de contrôle est en vigueur tout au long de l'année, mais à l'approche de périodes sensibles, les équipes sont renforcées en hommes, en effectifs et en moyen». Elément clé du dispositif, les brigades ambulantes, constituées de douaniers en civil affectés à la surveillance de toute marchandise entreposée dans l'enceinte portuaire. Ces unités agissent sur la base de renseignements précis, récoltés auprès d'une multitude de personnels intervenant dans le port, à commencer par les marins, les portefaix, les agents de compagnies consignataires… Les informations recueillies sont étudiées et recoupées avec celles dont disposent le service de vérification des déclarations et celui de lutte contre la fraude. C'est à partir de ces investigations qu'il est procédé à la «visite» des containers suspects. Topographie idéale pour une fraude caractérisée Pour les responsables de la direction d'Alger-Port, il est pratiquement impossible de contrôler le contenu de tous les containers transitant par le port. Non seulement l'opération exige du temps mais surtout des moyens matériels dont ne dispose malheureusement pas l'entreprise portuaire. Il faut, en effet, des moyens de levage et de manutention pour déplacer les conteneurs qui doivent être vérifiés dans une zone spécialement affectée à ce type d'opération. «Il ne faut pas oublier que le port s'étend sur plusieurs kilomètres, et ramener un container d'un bout à l'autre du port pour le contrôler nécessite la collaboration étroite de l'entreprise portuaire et de ses travailleurs, ce qui n'est pas souvent le cas», nous dit-on. «L'écueil, c'est la disproportion des moyens du port par rapport aux tâches quotidiennes des services de douane, et c'est ce qui explique que des fraudeurs arrivent à passer à travers les mailles du filet», nous précise un autre officier supérieur. Autre problème évoqué, la topographie des lieux. A l'origine, le port d'Alger a été conçu pour l'exportation de produits agricoles et vinicoles. Devenu par la force des choses le réceptacle de milliers de tonnes de marchandises importées, sa configuration actuelle ne permet pas le déplacement des containers vers les points de contrôle, notamment au scanner fixe acquis il y a quelque temps par l'EPA. De plus, nous dit-on, il est extrêmement risqué d'opérer de nuit à cause de la «faune» d'individus peu recommandables qui vivent dans l'enceinte portuaire. Nos interlocuteurs ne veulent pas trop s'étaler sur ce sujet, préférant rejeter la balle dans le camp des services de sécurité. Toutefois, assurent-ils, depuis l'acquisition d'un nouveau scanner mobile de dernière génération a permis aux services des douanes d'Alger-Port d'atteindre un taux de vérification physique de 85%. Sans préjuger de la nature des marchandises non contrôlées, ils affirment que ce taux est une «performance», comparativement aux résultats mitigés des années précédentes. Sous couvert de serviettes en papier Les astuces ne manquent pas pour introduire frauduleusement des marchandises prohibées à travers les ports. L'explosion des importations après la libéralisation totale du commerce extérieur a pris de court les services des douanes, ce qui les a mis de facto dans l'obligation de s'adapter à la nouvelle donne. Non seulement il était évident d'augmenter les effectifs, mais aussi de les rajeunir en faisant appel à des profils aux compétences avérées. La particularité est qu'on n'est plus devant une poignée d'importateurs étatiques spécialisés, mais face à une multitude d'entreprises et individus intervenant dans un large éventail de créneaux. «On importe aussi bien des chouchous pour petites filles que des produits électroniques dernier cri», nous indique-t-on, expliquant que cela donne lieu à toutes sortes de fraudes. Et donc à une vigilance très accrue pour protéger le marché national. Mais que faire devant une boulimie d'importation qui risque à terme de tuer tout le secteur productif national ? En 2008, le seul port d'Alger a vu transiter quelque 600 000 containers de différentes dimensions, en plus de la réception de milliers de tonnes de marchandises diverses ramenées par vraquiers. Dans les conditions du port d'Alger, «la fraude est facilitée par l'anarchie et la quantité incroyable de marchandises qui s'y déversent», nous explique-t-on. Forcément, des importateurs malhonnêtes profitent de cette situation en trichant sur la nature de la marchandise. L'astuce, c'est de déclarer les cargaisons de pétards, par exemple, comme des serviettes en papier, du papier hygiénique ou d'autres produits n'ayant pas grande valeur. Dans ces cas précis, la difficulté réside dans l'interprétation des images fournies par le scanner. «Il faut un œil averti pour faire la différence», nous dit-on. Une meilleure gestion des risques Nos interlocuteurs ne nient pas quelques faiblesses au niveau de leur institution. Telle, par exemple, la formation des douaniers, leur moralité parfois douteuse, leur motivation réelle en embrassant le métier… «Les douaniers sont des algériens comme les autres», nous dit, souriant, un haut responsable qui précise cependant que ce type de questions est pris en charge sérieusement au niveau de la direction générale et des autres instances hiérarchiques. Le problème fondamental, c'est ce manque de moyens qui handicape lourdement le travail des douaniers agissant à travers les frontières terrestres et maritimes. D'où l'idée, aujourd'hui, de traiter les questions relatives à la fraude de manière méthodique, surtout à travers la maîtrise de l'information et son exploitation. Le système de dédouanement expérimenté depuis quelques semaines, dit système de gestion des risques, s'inscrit dans cette démarche. L'idée est d'accorder un statut aux opérateurs économiques et aux importateurs, après une enquête approfondie sur leur sérieux et leur moralité. Ils pourront bénéficier, en cas d'agrément, de facilitations diverses, notamment le passage de leurs marchandises par le couloir dit «vert», où aucun contrôle physique n'est opéré. A ce propos, on nous confirme que 80% des marchandises passent par le couloir «rouge» à cause du peu d'informations fiables dont on dispose sur l'importateur ou des doutes sur la nature réelle de sa marchandise. Le contrôle a priori est un autre moyen de «débusquer» les fraudeurs. Avant le déchargement du navire, on se base sur le manifeste du bateau, appelé aussi «déclaration de cargaison». Ce document est obligatoirement fourni par le consignataire du bateau qui précise exactement le contenu et la nature de la marchandise. Toute fraude ou tentative de fraude est sanctionnée, et son auteur inscrit sur la liste noire de la douane. Mais les fraudeurs ont de l'imagination et beaucoup de complicités. «Nous ne pouvons rien faire contre les registres du commerce douteux», avouent nos interlocuteurs. Ils assurent par contre que «les prises seront meilleures dans les mois qui viennent, à la seule condition que cessent les pressions intolérables sur les douaniers qu'on accuse d'être à l'origine du grand nombre de bateaux en rade dans la baie d'Alger», concluent-ils.