Le gouvernement s'est ému récemment de la condition des personnes âgées et a promis d'améliorer autant que possible le sort de cette frange de la population qui représente quelque trois millions sur les trente-trois millions d'Algériens recensés. Or la situation de la personne âgée a radicalement changé dans la société algérienne. Les cas qui suivent et que nous avons recueillis au cours d'un bref reportage illustrent ce à quoi les personnes du troisième âge sont exposées. D'abord, cette grand-mère qui vit seule avec son petit-fils d'une vingtaine d'années. La vieille femme fait office de femme de ménage chez deux familles aisées. Son petit-fils qui refuse obstinément de faire quelque chose de ses dix doigts, encore moins de ses milliards de neurones, la pressure littéralement pour s'habiller à la mode, et va jusqu'à la guetter les jours de paie au sortir de ses lieux de travail. Il est même arrivé que le garnement brutalise sans vergogne son aïeule quand il estime qu'elle ne lui donne pas assez d'argent. On imagine l'enfer dans lequel vit cette personne âgée et sans défense, d'autant qu'elle éprouve une peur bleue de son petit-fils. Un nouveau job après la retraite Ce retraité qui s'est reconverti en taxi clandestin pour boucler les fins de mois, et fulmine autant contre ses fils que contre le gouvernement : «J'ai trois malabars à la maison que je suis obligé de nourrir, alors qu'ils ont tous plus de 20 ans et instruits. Ils ne se lèvent jamais avant 11 h et me disent qu'ils n'arrivent pas à trouver du travail. Que fait donc ce gouvernement pour enrayer le chômage ou accorder une allocation chômage à ceux qui en ont besoin ?» Et cet autre retraité qui vit un véritable drame et qui a réussi à se débrouiller un poste de réceptionniste dans un petit hôtel de la capitale. Toute sa tragédie se résume à cette demande qu'il a faite à un artiste de passage : «Faites-moi des paroles pour une chanson qui parle d'un garçon qui frappe son père, je la chanterai moi-même puisque je joue de la mandoline.» Devant le regard étonné du client, le vieux monsieur lui avoue que son fils le frappe souvent pour lui soutirer de l'argent. Une autre personne âgée s'est fait escroquer par son propre fils. Ce dernier, après lui avoir subtilisé les papiers de son véhicule, les a établis en son nom propre. Le père, pour se débarrasser de son indigne rejeton, n'a pas trouvé mieux que de lui fournir le pécule nécessaire pour financer sa harga. Les surprises des travailleurs retraités du Sud Quant au dernier cas que nous citerons, il concerne un travailleur au Sud qui, à la veille de sa retraite, était venu chez lui dans une petite ville du Nord pour se reposer quelques jours. Quelle ne fut sa surprise de voir son épouse en secondes noces et le fils de celle-ci lui interdire l'accès à sa propre maison et lui jeter quelques affaires en le menaçant de mort s'il réapparaissait dans le quartier. Au moment où il nous a raconté son histoire, il était aide-cuisinier dans un grand hôtel privé et nous a dit, en brandissant un grand couteau de boucher : «Je jure que je me vengerai !» Sans commentaires. Il y a des cas encore plus tragiques, comme ces vieilles personnes que leur famille jette à la rue et qui dorment sur les trottoirs et qui pullulent dans des hammams insalubres ou dans les hôtels miteux parmi les délinquants et les voleurs. Par ailleurs, peu de centres d'accueil réunissent vraiment les conditions assurant la sécurité et la dignité de leurs pensionnaires âgés. Les pouvoirs publics devraient ordonner des enquêtes pour remettre sur le droit chemin ceux des 28 centres existant sur le territoire national qui traitent la personne âgée comme un paria. Les personnes âgées vivent souvent, même quand elles sont dans le foyer familial, une véritable exclusion, un isolement moral qui leur fait cruellement ressentir leur inutilité, alors que leurs premières aspirations sont la dignité et le sentiment d'être utile. La solidarité familiale traditionnelle étant en voie de disparition, il ne reste que les actions des pouvoirs publics pour multiplier les connaissances sur cette catégorie précarisée de la population et de rendre visible une démarche à même de lui rendre son humanité pleine et entière.