Peut-on investir les chemins de la poésie sans avoir la fibre sensible et beaucoup d'humanisme? Dalila Ameurlaine-Boumghar a engrangé durant son enfance et son adolescence des souvenirs, tout un vécu tissé de choses agréables et d'autres désobligeantes qui font partie de la vie. Après une longue maturation alimentée par des évènements personnels extérieurs, sa réflexion s'extériorise et sa poésie prend son envol, une envolée poétique qui se circonscrit dans les méandres de ce monde souvent tourmenté et bien sombre. Comment rester de marbre quand on s'écharpe à coups de machettes en Afrique, qu'on tombe comme des mouches sous les obus à ghaza ou en Irak, ou qu'on crève de faim dans le monde? A cela Dalila ouvre son cœur meurtri par tant de misère et exprime cette détresse par des mots tantôt violents tantôt lénifiants dans ses odes expressives. Boostée par la détresse humaine et l'adversité de la vie, Dalila y résiste et s'y cramponne avec ses mots comme pour conjurer le sort. Sa poésie se teinte d'amertume mais aussi d'espoir ; un espoir en l'homme. Dans cet entretien, la poétesse raconte ses essais d'écriture et les diverses formes qu'elle emprunte.
Pourquoi avoir investi l'écriture et plus particulièrement la poésie? D'aussi loin que je me souvienne et cela date de mon adolescence, c'est l'écriture qui est venue à moi sous forme de poésie au tout début, puis au fur et à mesure que je prenais de l'assurance, j'ai raconté aux enfants des contes inventés de toutes pièces. Je pense qu'étant du signe astrologique poissons, cet état de fait était un peu prédestiné et, l'inspiration aidant, je me suis lancée dans l'aventure poétique sans but précis, j'écrivais pour libérer des mots qui me venaient naturellement en telle ou telle occasion. (Pour la fête des mères, j'ai écrit pour ma mère etc.) Ensuite il y a eu un vide de plusieurs années puis le déclic qui a permis à mon ouvrage «Dans la tourmente du monde» d'être édité. Voici quelques vers qui ont été lus à l'antenne de la radio dans les années 70 par Kaddour M'hamsadji : «Rime inutile prose sauvage ou poésie du naufrage de l'avenir. Tant de siècles t'ont ternie, tant de poètes rajeunie. A poésie d'amour répondait poésie de guerre et tu passais de vers en vers, de rime en rime pour retomber dans ton abîme ... le parchemin», etc. Que représente pour vous la littérature? Essayez d'imaginer un monde sans manuscrits, le néant total ! La littérature est la moelle dont Rabelais se sustentait et chaque être humain est un Rabelais. Vous ouvrez un livre pour plusieurs raisons et plus vous lisez plus vous en demandez ; le roman nous entraîne dans des aventures merveilleuses et des périples à travers le monde qui nous enchantent et nous font rêver. Lire, c'est ouvrir une porte sur l'inconnu, l'irréel, le magique, le tragique, le rire etc. La littérature pour moi, c'est la vision des choses perçues par d'autres et que je transforme à ma guise, selon mon humeur, un pur plaisir! Votre poésie a des thèmes hétéroclites abordant plusieurs problèmes de la société. Pourquoi? Il y a dans notre société différentes catégories de gens confrontés à différents problèmes ; il suffit d'ouvrir les yeux pour voir qu'il se passe des choses autour de nous auxquelles on ne peut pas rester indifférent et au-delà de nos frontières aussi ; je pense à Ghaza en écrivant ceci, beaucoup de personnes ont été touchées et se sont mobilisées pour la cité martyre, et cela m'a inspirée pour les trois derniers poèmes de mon livre. J'écris ce que je sens et ce que je ressens au plus profond de moi. Par exemple, cette prose que j'ai écrite sur l'Algérie mère d'une jeunesse désorientée. «Tes yeux sont pleins de désirs et de rêves en lambeaux. Tes fugaces amours ont abandonné ton corps plein, plein de foetus informes que tu as rejetés. Cet abîme sans fin où ils n'arrêtent plus de tomber n'a pas de nom, pas de visage pour l'enfance, pas d'odeur non plus et surtout pas de rires. Une adolescence coincée entre les murs crasseux d'une cité de nulle part, cohabitation cauchemardesque. Telle la louve romaine, tu voudrais bâtir pour eux une ville aux murailles d'acier où rien ne pourrait les atteindre, mais leurs regards avides ne te laissent pas en paix : reproches d'être venus au monde au désert, grains de sable à perte de vue, pas de boulot, pas de logement, pas de famille, rien que l'aridité. Ils auraient voulu être ailleurs, un ailleurs où les fées se penchent sur les berceaux, un ailleurs qu'ils ne cesseront jamais de convoiter. Que pensez-vous de la littérature algérienne de ces dernières années? Il y a eu une floraison de titres qui sont apparus dans les librairies, et ma foi, je ne peux que m'en réjouir. C'est un plus pour le visage culturel de notre pays et j'encourage vivement tous les algériens à les découvrir. Je ne veux pas citer de nom en particulier pour ne léser personne. Bonne chance à tous les auteurs ! Quels sont vos auteurs préférés ? Pourquoi ? Au cours de mes années de lycée, j'ai lu énormément, et parmi tous ces auteurs, il y a eu Jean-Paul Sartre (les mains sales, le mur...)Rimbaud, Baudelaire, Stendhal, Hugo, Hemingway, Feraoun, Mammeri etc. J'ai apprécié certains pour leur poésie au travers de laquelle ils laissaient transparaître leur moi profond, tel le spleen de Baudelaire, Victor Hugo m'a fait voyager dans les bas-fonds de Paris avec les Misérables et l'histoire de Cosette ne m'a pas laissée indifférente. Chaque auteur a laissé son empreinte dans mon cœur , il y aurait tellement de choses à dire sur chacun et sur tous ceux que je n'ai pas cités. Quels sont vos projets d'écriture? Mon tout premier livre est sorti l'année dernière, il s'intitule «Kipic pique-nique» aux éditions Alpha. Il y a d'autres Kipic qui attendent d'être édités, ce sont les aventures d'un hérisson et de ses amis destinées aux enfants. Le mois dernier, les éditions Nounous ont publié mon livre de poèmes «Dans la tourmente du monde» et un nouveau livre pour enfants sortira bientôt, j'espère, toujours aux éditions Nounous. Il s'intitule «Je découvre mon pays» ; il s'agit de montrer les différentes régions de notre pays à travers les yeux de deux enfants, Amina et Samir. Pour moi écrire, c'est vivre pleinement, se rassasier de chaque instant qui passe et le coucher sur le papier afin qu'il ne meure jamais, puis le laisser en héritage... Entretien réalisé