Enorme allégorie, que celle que nous présente un rêve, un jour de pluie... Voici, traduit de l'arabe, un très court roman, Une Mer sans mouettes, écrit par Djilali Khellas et qu'il faut lire dans la chaleur de cet été, et si possible,...un jour de gros orage. Ne cherchons pas la poésie, là où, pour la voir, il faut les yeux du coeur, et surtout, sous les yeux, le texte original en arabe pour considérer l'état magnifiquement poétique de l'âme de l'auteur. Pédagogue, poète, interprète sensible des choses de la juste et injuste vie, et tout baigné d'arts et de lettres, cet artiste, intransigeant cordial «du moins, je le sens ainsi» , libéré définitivement des tâches administratives, dit les durs moments de son pays avec les accents de son enfance et les images réinventées des histoires extraordinaires que lui soufflent à la fois les ancêtres de? Aïn ed-Defla et de Khemîs Meliâna, autant dire ech-Cheleff et ez-Zaccar! Ce sont là de hauts lieux de l'intelligence révolutionnaire qui donnent coeur et raison à Khellas, et force et délicatesse à son oeuvre toute imprégnée des dits du Père et de la Mère, le Couple dans la société algérienne qui reste le fondement sûr de toute génération saine. Dans Une Mer sans mouettes, il y a beaucoup de Djilali Khellas: ses origines, son enfance, son adolescence, son éducation, sa formation, ses souffrances de toutes les vicissitudes et de toutes les guerres subies par l'Algérie et que conserve intactes la mémoire de l'homme qu'il est aujourd'hui. Tout écrivain, à l'âge mûr, se tourne vers le passé de sa vie comme pour s'acquitter d'une dette capitale qu'il n'a pas contractée de volonté et qu'il se doit pourtant d'honorer. C'est souvent essentiellement là son oeuvre, toute son oeuvre. Il s'y retrouve pleinement, refaisant le chemin de son histoire avec l'humilité et le recul du naturaliste éperdu d'amour pour la fleur qui pousse sous ses yeux : la vie, la simple vie, le fait d'être. Le passé est dur, le présent est dur, mais quels trésors recèle le patrimoine constitué et offert par les Ancêtres et qui devient source de liberté, de bonheur, un code de vie pour conquérir d'autres libertés, d'autres bonheurs! Pourtant l'histoire de Houda, un personnage de fiction et de...réalité, et de son compagnon (le narrateur qu'il faut confondre avec l'auteur pour mieux savourer les subtilités du récit), est fort simple. C'est un couple peu ordinaire, et le temps et le ton de l'aventure évoluant par flash-back sont également étranges. «Après un mois de séparation», les deux amants se retrouvent sous une pluie torrentielle. Mais qu'importe, elle et lui aiment la pluie. Tout le long du trajet menant à la plage, la pluie sert comme une musique de fond sonore au récit de leurs souvenirs échangés. Quant ils arrivent sur la plage, non loin d'Alger, ce n'est plus celle de leur prédilection. Ils découvrent «un spectacle apocalyptique»: «Des centaines de mouettes, peut-être des milliers sont étendues sur la grève...et sur la route, un barrage de militaires!» Que s'est-il passé? Une énorme houle envahit le narrateur qui, soudain, reprend la route: «L'image des hommes en uniforme, aux ordres stricts me renvoya, écrira-t-il plus tard, à mes souvenirs d'enfance.» Houda, son amour infini, venue le retrouver pour des plaisirs interdits, reste fidèlement à ses côtés comme pour témoigner d'une passion flamboyante au coeur de ce paysage hallucinant. Toute l'Algérie, blessée et souffrante, y est exprimée par les souvenirs les plus tenaces, les plus terribles, et cependant, les plus incroyablement authentiques que Djilali Khellas traite dans Une Mer sans mouettes avec le chagrin silencieux de l'enfant qui est en lui et dont les besoins d'amour sont de plus en plus accrus par les nouvelles conditions de liberté et de progrès en Algérie moderne.