Depuis plusieurs jours, c'est toute la ville des Genêts qui s'est transformée en un gigantesque marché à ciel ouvert. Ses ruelles offrent un visage désolant le soir venu, quand les étals laissent place à des monticules d'ordures et d'emballages abandonnés sur place. Une simple virée dans cette ville aux ruelles étroites vous renseigne sur l'ampleur du phénomène qui la gangrène en profondeur. Les achats varient entre effets vestimentaires, fournitures et livres scolaires, produits de pâtisserie en plus des emplettes quotidiennes en fruits et légumes. Les hommes et les femmes sont partout. En plus, c'est la période des soldes. C'est pourquoi les acheteurs essaient de dénicher la bonne affaire. Les étals sont parfois à même la chaussée, puisque les vendeurs à la sauvette, depuis longtemps installés sur les trottoirs des ruelles principales, se disputent le moindre petit coin pour exposer leurs marchandises. Ce phénomène, qui était presque spécifique à la rue Lamali, a gagné les moindres recoins de la ville. Du côté de la CNAS, la place limitrophe de la station des fourgons de différentes localités, est l'une des plus prisées par ceux qu'on appelait autrefois les «cabistes». Aujourd'hui, ce sobriquet ne tient plus la route : ils possèdent tous leurs véhicules qu'ils garent ostensiblement à même le trottoir et qu'ils transforment même en «vitrines». A la rue Ahmed Chafai, tout y est : fruits, effets vestimentaires pour tous les âges, herbes aromatiques, vaisselle, jouets, articles de décoration et autres et bien entendu tout est made in China. Là, on s'amuse même à placer des écriteaux sur lesquels on peut lire «soldes» et autres écrits dans un français truffé de «syllogismes» dont seuls les vendeurs connaissent les concepteurs. Pour l'anecdote, un vendeur de lingerie féminine a eu le «génie» d'écrire sur un bout de carton posé sur des paires de soutien-gorge : « père 150 dinars» (sic). Il n'est pas rare de rencontrer ce genre de choses au niveau de ces «marchés». «Ça détend au moins l'atmosphère», ironisera une consœur. Du côté de la rue Lamali, c'est plus encombré. Les embouteillages, notamment les bouchons qui prennent naissance au niveau du portail du CHU Nédir Mohamed qui longe cette rue, sont légion. Ils créent une incroyable cacophonie toute la journée. Les klaxons fusent de partout et chacun essaye de se frayer un chemin comme il peut. Sur les deux côtés de la route, les étals s'étendent à l'infini sous des gigantesques parasols érigés pour la circonstance. Et là aussi on trouve de tout : effets vestimentaires en grande partie, des articles de ménage, et aussi des dizaines de types de jouets. Ce type de commerce attire un grand monde. Il est même très difficile de circuler librement au milieu de tout ce brouhaha. Du coup c'est tout le monde qui marche à même la chaussée. Les personnes apostrophées ont toutes avoué leur préférence pour ces marchés malgré les dangers et les risques émanant de ces produits. Tout le monde s'accorde à dire que ce sont les prix qui les attirent. Une mère de famille nous dira fort à propos : «Sur les étals, on trouve des vêtements usagés à moindre frais. Avec 200 DA, j'arrive à acheter deux tenues pour mes enfants de 6 et 2 ans, et puis ce sont des vêtements de bonne qualité. Où pourrais-je trouver mieux ? » Une étudiante ne nous cache pas sa préférence pour ces lieux où elle peut s'offrir de multiples articles à bon prix, des sandales à 200 DA, un body à 400 DA, un sac à 600 DA… «Ce sont de bonnes affaires pour une étudiante comme moi qui a un budget si serré.» Un père de famille, quant à lui, avoue ne pas avoir le choix. «Quand on a des enfants scolarisés après un mois de Ramadhan qui nous a complètement émoussés, il ne nous reste guère de choix, un penny réservé est un penny gagné. Il faut savoir faire ses comptes», lâchera-t-il. Sur la question de l'envahissement de la voie publique, un retraité nous dit préférer renoncer à son droit et laisser ces jeunes gagner leur vie honnêtement au lieu de les voir voler, et puis, ajoute-t-il, ça arrange tout le monde ! Le phénomène se propage Juste avant l'Aïd, le commerce informel jadis concentré sur les axes les plus fréquentés, s'est étendu à d'autres artères de la ville où il y a moins de monde. Le boulevard Houari Boumadiène fait partie des places sur lesquelles les vendeurs à la sauvette ont jeté leur dévolu. Désormais, il regorge lui aussi d'étals. Il y a environ quatre à six étals appartenant à des personnes différentes. La qualité de ces produits, pourtant très attirants, reste douteuse, ils ne disposent d'aucune garantie de sécurité pour les chérubins qui en raffolent. Les parents n'y accordent aucune importance, tout en sachant que les produits et les teintes avec lesquels sont enduits les jouets peuvent être mortels pour les enfants. Du côté du rond-point, c'est le même topo. Ce sont les mêmes jouets qui sont étalés sur le trottoir pour attirer d'éventuels acheteurs. D'ailleurs, l'emplacement est bien choisi, tous les parents accompagnés par leur progéniture et qui passent dans les parages sont pris au «piège». Les autorités se contentent d'«admirer» le spectacle Les vendeurs à la sauvette, – si on peut toujours les appeler ainsi parce qu'ils ne se sauvent plus, au contraire ils restent cramponnés sur la voie publique qu'ils se sont appropriée – , ont pris possession de la ville et ne cessent de gagner du terrain de jour en jour. Mais pourquoi les autorités ne bougent-elles pas le petit doigt face à cette situation ? Telle est la pertinente question que tout le monde se pose à Tizi ville. Il est vrai que le spectacle est des plus désolants. C'est toute la ville qui est livrée, comme sur un plateau, aux «seigneurs» du marché parallèle. Ils se partagent, en toute vraisemblance à leur convenance, les moindres mètres carrés des trottoirs, et ce, sous le regard des responsables locaux et des services de sécurité qui semblent se contenter de limiter les dégâts. Entre-temps, tout rode dans ces lieux, surtout les vols à la tire. Tous les dangers sont présents. Les commerçants sont totalement exaspérés face à ces irrégularités et sentent une amère injustice des «autorités», eux qui payent leurs impôts et qui ne bénéficient d'aucune protection. Que faire ? Certains d'entre eux ont trouvé la parade. A la rue Lamali, un commerçant en alimentation générale n'a pas trouvé mieux que de faire sortir ses produits sur le trottoir. «Puisque les gens ont la phobie de tout ce qui est formel ! Même les produits périssables, ils préfèrent se les approprier chez ces pseudo commerçants qui n'ont ni foi ni loi, de surcroît, ils les offrent aux malades de l'hôpital Nedir Mohammed à qui ils rendent visite», déclare un commerçant visiblement furieux. Au demeurant, c'est l'impunité totale et si le citoyen semble trouver son compte dans ces affaires, c'est toute l'économie à qui l'on a porté un sévère coup.