Certains magistrats n'aiment pas lire les faits divers, car ils savent que seule l'inculpation, donc le parquet, donc la police judiciaire ont «seuls» la parole dans le compte rendu. C'est pourquoi ils sont lourds à la détente lorsqu'ils ont un dossier qui «rase» la moralité. Adila et Mouldi sont interpellés du côté de la gare de Boufarik, la main dans la main. Ils sont ramassés. On s'est gouré sur le compte des deux jeunes, deux petits copains, pas encore amis qui ne savent pas ce qu'ils font debout à la barre. Décidée à trancher, la juge très dynamique refuse de dramatiser et refuse la demande par un avocat de l'instauration du huis clos. Il n'y a pas de quoi. A l'appel de leurs noms, Adila F. et Mouldi S. s'avancent vers la présidente, la tête baissée et les épaules rentrées. D'emblée, la juge va devoir effectuer une légère mais percutante mise au point en direction de l'avocat de la partie civile, lequel avait voulu que le tribunal instaure le huis clos : «Oui, maître, vous vouliez dire un mot ?» balance-t-elle. «Madame la présidente, la défense aurait voulu un huis clos. On ne sait jamais...» «Pourquoi donc, maître ? Il n'y a rien de choquant. Allons-y, voulez-vous, nous n'avons pas que ce dossier ! Adila, dites-nous ce qui s'est vraiment passé entre l'inculpé et vous. Et puis allez à l'essentiel.» La victime inculpée, tout comme Mouldi, hausse les épaules, serre ses fines lèvres et murmure : «Mouldi et moi sommes de bons copains. Il nous arrive de sortir dans le quartier faire les cent pas en parlant de tout et de rien. Dimanche, Mouldi rigolait en me tenant la main avant que les policiers ne surgissent de l'angle d'une ruelle parallèle à celle où nous nous trouvions, nous embarquent dans la voiture radio direction la sûreté urbaine où l'on nous a écoutés mais pas suivi notre version.» Me Omar Aït Boudjemâa, l'avocat de l'inculpé, va parler de... mascarade. «Et puis quoi encore ? Il est vrai que nos agents ont des instructions à propos de tout acte immoral, mais de là à interpeller deux voisins du seul fait qu'ils soient mixtes, non, ce n'est pas sérieux. L'acte d'adultère lui-même a ses balises, tout comme le racolage sur et dans nos artères», s'est presque fâché l'avocat de Boufarik qui a exigé poliment mais sèchement, laissant l'indétrônable Djamila Ben Khettou, la représentante du ministère public, sur ses demandes, en l'occurrence l'application de la loi et aussi ses profondes convictions que, quelque part, ce dossier ne pouvait s'arrêter qu'aux quatre chemins de la relaxe, une relaxe que prononcera la présidente avec son accent tébessi, une «relaxe» qui avait résonné comme un coup de canon annonçant la rupture du... jeûne et la libération des... jeunes.