«Je ne suis pas concernée.» Cette réponse d'une jeune employée d'une crèche à Alger à propos de la prochaine revalorisation du Salaire national minimum garanti (SNMG) révèle l'état précaire d'un grand nombre de travailleurs activant principalement dans le secteur privé. Aucune étude sur le nombre de travailleurs percevant 12 000 DA ou moins n'a été réalisée en Algérie, atteste un responsable de l'Office national des statistiques. Qu'il soit augmenté à 15 000 DA, 20 000 DA ou plus, pour cette employée «les choses ne vont pas changer» puisque son employeur maintiendra son salaire actuel. «Lorsque j'ai été recrutée en 2008, on m'a proposé un salaire de 8000 DA avec la promesse de sa révision à la hausse dans quelques mois», s'est-elle rappelée. A cette époque «ma joie était tellement grande que je me suis peu intéressée au montant du salaire qu'on venait de me proposer. Ce n'est qu'après quelques mois de travail que je me suis aperçue que le fait de décrocher un emploi n'est pas forcément synonyme d'une amélioration de sa situation qui est finalement restée aussi précaire qu'elle ne l'était auparavant», a-t-elle regretté. L'engagement d'une augmentation n'a pas été respecté par la directrice qui évoque à chaque occasion des difficultés financières. Pis encore, cette jeune femme n'a pas été déclarée à la sécurité sociale. Au bout d'une année et demie de travail, la fameuse augmentation arrive mais est limitée à 500 DA pour porter «le salaire de misère» à 8500 DA, avec une nouvelle promesse d'amélioration une fois la situation financière meilleure. Une autre employée de cette même crèche a tenu à apporter son témoignage en révélant qu'elle est payée à 12 000 DA. Avec ses trois années d'expérience, elle ne doit son salaire actuel qu'aux nombreuses petites augmentations. «Si je tente de réclamer, la responsable me signifie clairement que je dois m'estimer heureuse car dans d'autres crèches mon salaire n'aurait pas dépassé 8000 DA», a-t-elle déploré. D'ailleurs, en effectuant «les semblables hausses de salaire», la patronne a revu le nombre d'employées à la baisse, faisant supporter une charge de travail supplémentaire aux travailleuses maintenues. Certes, se souvient-elle, un inspecteur de travail s'est présenté dans cet établissement mais la responsable s'est arrangée pour lui signifier «qu'il s'agit d'employées à l'essai ou de stagiaires prises en charge pour une formation d'éducatrices. Le cas de cet établissement n'est pas isolé puisque ce sont des centaines, voire des milliers de travailleurs, qui touchent des salaires inférieurs à 12 000 DA, rendu obligatoire par la réglementation. Parmi eux figurent des diplômés d'universités, de la formation professionnelle ou des instituts privés de formation ou sans niveau. Activant dans l'informel, ils sont obligés d'accepter des salaires synonymes de «bourse», comme aime le qualifier Abla S. Cette jeune fille de 23 ans, diplômée de l'Université d'Alger en comptabilité, a fini par accepter de travailler pour un salaire de 4000 DA. Vouloir échapper au chômage l'a finalement obligée à accepter un salaire précaire. Assurant la gestion d'un cybercafé pendant presque 10 heures par jour, elle n'a pas cessé de revendiquer une hausse de salaire. La précarité imposée par le chômage Or, à l'image d'un grand nombre d'employeurs, le propriétaire du cybercafé a profité du chômage des jeunes qui a atteint 70% pour cette frange de la société, selon l'Association algérienne pour la sauvegarde de la jeunesse (AASJ). Une étude du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread), datant de 2007, révèle que «le taux de chômage des jeunes est quatre fois plus important que celui des adultes». Abla S. se rappelle, par contre, qu'aucun inspecteur de travail ne s'est présenté durant les 10 mois passés au cyber. C'est ce qui permet à ces employeurs sans scrupules d'imposer leur dictat, dans l'impunité totale, pensent plusieurs employés de micro-entreprises. Pour Zahra, 32 ans, employée dans une étude notariale, son salaire de 10 000 DA lui permet à peine de subvenir à ses besoins. «Je n'ai pas le choix», a-t-elle murmuré. De bas salaires pour rester compétitif Pour certains chefs de microentreprises, cette politique salariale leur permet de «faire des économies en terme de charges sociales». Sans cela, «nous serions obligés de baisser rideau», tente de justifier le patron d'un atelier de confection. Et d'ajouter : «Je ne suis pas le seul à proposer des salaires variant entre 6000 et 12 000 DA», s'est-il défendu. Plus le coût unitaire est faible, plus la compétitivité de l'entreprise est élevée. Les entreprises doivent gagner en compétitivité par un effort accru de rationalisation des dépenses. Une rationalisation qui touche plus la politique salariale, fort déséquilibrée, ironise l'employé d'une entreprise privée. Il n'est pas utile d'encourager les entreprises à faire du niveau des salaires une variable d'ajustement de leurs résultats, explique un économiste, soutenant que ce ne sont pas les entreprises qui ont les salaires les plus bas qui sont les plus compétitives, mais les entreprises qui ont la plus forte productivité par travailleur. L'amélioration de la productivité est la résultante d'une politique salariale équilibrée, conjuguée à une formation du personnel, a-t-il ajouté. De l'avis de plusieurs économistes, la prochaine revalorisation du SNMG sera vite rattrapée par la hausse du taux d'inflation qui a atteint 5,7% au cours des neufs premiers mois de 2009. L'amélioration de la situation des travailleurs ne doit pas se limiter aux simples augmentations, devenues insignifiantes devant les autres facteurs responsables de l'érosion du pouvoir d'achat, a-t-on conclu de mêmes sources.