La violente campagne médiatique déclenchée par la presse égyptienne contre l'Algérie, suite à la défaite des Pharaons devant les Fennecs, mercredi à Khartoum, n'est pas près de prendre fin. Une semaine après le match joué au stade d'El Merrikh, les télévisions égyptiennes continuent leur croisade anti-algérienne, poussant l'outrecuidance jusqu'à exiger des excuses officielles sur «les événements tragiques de Khartoum». Les animateurs télés qui donnent pour réelles «les attaques terroristes» subies par leurs compatriotes dans la capitale soudanaise développent depuis hier l'idée qu'un complot mondial est ourdi contre l'Egypte puisque, selon leurs propos, aucun pays et aucune instance internationale ne sont venus appuyer «la juste cause» de leur pays. Hystériques, certaines stars exigent que l'Egypte soit rétablie «dans ses droits légitimes» et qu'il soit mis un terme aux relations avec les Algériens, présentés comme des «barbares», des êtres «violents» et, plus grave, des individus incapables de maîtriser leurs «pulsions criminelles». Extrêmement bien rôdé, le discours est pratiquement identique sur toutes les chaînes satellitaires égyptiennes. D'un côté, il y a de gentils Egyptiens bien éduqués partis à Khartoum assister à une simple partie de football, de l'autre, des milliers de violents supporters algériens dépêchés par le pouvoir dans l'unique but de casser de l'Egyptien. «L'Algérie a envoyé de vrais supporters, l'Egypte des artistes et des comédiens», avait déclaré vicieusement le vice-président de la Fédération égyptienne de football, ravivant du coup la haine anti-algérienne dans des médias engagés dans une campagne qui a fini par ne plus avoir de sens, sauf celui de détourner l'attention de l'opinion du peuple égyptien, victime première de la profonde crise dans laquelle s'est enfoncée l'Egypte. Des télés sans images En fait, c'est la lecture qu'il faut faire de ce déchainement de haine qui a mobilisé les chaînes de TV publiques et privées ainsi que la quasi-totalité des titres de la presse écrite dont le vénérable Al Ahram. Mais le manque criard d'objectivité, d'arguments, de faits et surtout d'images, fixes ou animées, confirmant «la chasse à l'Egyptien» dans les rues de Khartoum, ont carrément discrédité ces télés, devenues pour la circonstance de simples stations radio «visuelles». Le drame est que la crédibilité de ces chaînes n'a pas dépassé les limites des studios, en dépit des nombreux témoignages dramatisés à l'extrême par des artistes et autres stars de cabaret présents à Khartoum. Le bidonnage, technique télévisuelle qui consiste à monter de toutes pièces des événements fictifs, n'a pas non plus fonctionné, démontrant l'indigence des chaînes satellitaires égyptiennes et surtout leur incapacité à contrer des TV arabes beaucoup plus professionnelles, à l'image d'Al Jazeera et d'Al Arabia, dont l'audience reste très forte au pays des Pharaons, deux chaînes qui, en rétablissant les faits et en montrant des images en direct de la capitale soudanaise avant, durant et après le match, ont complètement cassé la mise en scène égyptienne. Concrètement, c'est toute la stratégie médiatique de l'Etat égyptien qui tombe à l'eau après le revers cathodique qui lui a été infligé par ces deux chaînes, lui qui s'est doté justement d'un complexe télévisuel pharaonique - création d'une cité de la télévision, d'un ensemble de chaînes de télévision thématiques et leur diffusion par satellite- à l'effet d'imposer une hégémonie audiovisuelle sur le reste des pays arabes. Les spécialistes arabes de l'audiovisuel avaient pourtant prédit l'échec annoncé d'un tel projet, expliquant qu'on peut, moyennant finances, lancer des milliers de chaînes de télévision mais jamais imposer son influence sur l'opinion. Ce sont les contenus et non les moyens qui font la force des médias. On sait aujourd'hui la piètre audience des TV du Nil - et des télés nationales arabes en général - ainsi que leur faible pénétration des foyers. Les masses égyptiennes, lassées du discours ambiant et sevrées de leur propre image dans ces mêmes médias, s'en sont très vite détournées, préférant l'objectivité, somme toute relative, et la liberté de ton des chaînes citées plus haut. Guerre d'audience, guerre de contenus Sur un plan professionnel, les spécialistes de l'audiovisuel, de même que les publics initiés, la télévision, c'est avant tout l'image, chose qu'ont omise les TV égyptiens qui ont été incapables de filmer la moindre séquence sur «le drame» de Khartoum. L'hystérie médiatique a atteint un tel paroxysme qu'elle a été relayée par de dizaines de chaînes arabes en mal d'audience. Plusieurs chaines, à l'exemple d'El Moustakillah, qui émet à partir de Londres, ont su très vite tirer parti d'événements qu'elles n'ont pas hésité à qualifier de «guerre fratricide algéro-égyptienne». El Mustakillah a invité ses auditeurs -la chaîne est en fait une radio animée - à faire cesser les hostilités, à calmer les esprits et à faire pression sur les deux pouvoirs à arrêter une guerre ne servant ni les intérêts des deux peuples ni l'intérêt de la nation arabe. Des débats ont été animés dans d'autres chaînes, mettant face à face des supporters des deux pays et donnant la parole aux citoyens arabes, dans une tentative de rehausser leur audimat et de s'imposer parmi les chaînes qui comptent dans le monde arabe. Le déchainement de passion est perceptible également dans la presse écrite arabe, égyptienne en particulier. Des titres que l'on croyait sérieux n'ont pas hésité à transgresser les règles élémentaires de la déontologie professionnelle. El Ahram ouvre ses colonnes à Safwat Charif, président du Conseil de la choura, qui exige des autorités supérieures algériennes des excuses officielles sur les événements de Khartoum, accusant la presse algérienne d'avoir orchestré la campagne de dénigrement anti-égyptienne. Le non moins sérieux El Joumhoria publie en une les propos inacceptables de Jamal Moubarek, fervent supporter des Pharaons mais néanmoins fils du raïs, qui affirme avec force que «le droit des Egyptiens ne se perdra pas et les événements du match ne pourront être oubliés». Moubarak junior est relayé par le ministre de la Justice qui dans une intervention devant le Parlement a lancé le plus sérieusement que «l'Algérie est entièrement responsable de ce qui vient de se passer». Les propos de Saad El Jamal, député, président de la commission parlementaire, sont plus choquants : «Il s'agit d'un terrorisme d'Etat, d'un Etat qui n'a pas de considération pour l'unité des rangs arabes.» El Wafd va plus loin, affirmant qu'«il y a présentement un véritable complot mondial ourdi contre l'Egypte». Le quotidien cite notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni où, selon lui, «les services de sécurité et les correspondants de presse sont dans un état de coma profond» devant les exactions nombreuses commises contre les ressortissants égyptiens.