Pointé du doigt par les organisations civiles et humanitaires pour les violations répétées des droits de l´homme au Sahara occidental, abandonné par ses alliés les plus fidèles dans sa stratégie du pire dans le «cas Haider», soumis à une crise sociale interne aiguë,le régime marocain se trouve dans l´obligation de réagir. Il doit prendre des décisions urgentes pour échapper à la noyade car l'eau rentre de partout. Or ces décisions, à l'image de la «Régionalisation avancée» du roi Mohammed VI, sont-elles les bonnes ? Rien n'est moins sûr. Le déclic de Aminatou Haider La grève de la faim de Aminatou Haider a remis d'actualité la question du Sahara occidental. Ce fut un véritable déclic. L'envoyé spécial du Secrétaire général de l'ONU pour l'ancienne colonie espagnole, Christopher Ross, envisage de relancer prochainement le processus de négociations informelles entre les deux parties impliquées dans ce conflit. Cette nouvelle initiative de M. Ross est identique, dans la forme, à celle qu'il a pu, non sans difficulté, organiser en août dernier à Vienne, pour sortir le dialogue maroco-sahraoui de l'impasse à laquelle ont conduit les quatre rendez-vous de Manhasset, près de New York. Sauf qu'elle doit intervenir après le «cas Haider», donc dans une conjoncture cette fois plutôt favorable au Front Polisario. Jusque-là, le Maroc avait la partie belle, puisqu'en plus du soutien de pays influents au Conseil de sécurité, à leur tête la France, il comptait sur le silence de la communauté internationale pour laquelle le conflit sahraoui n'est plus une «priorité» depuis qu'un cessez-le-feu avait été décidé en 1991 à Houstan. Un statu quo donc qui arrange parfaitement le royaume alaouite qui repoussera depuis toutes les résolutions du Conseil de sécurité invitant à la tenue d'un référendum d'autodétermination, y compris à l'application du «Plan Baker». Sur les habiles conseils de Madrid et de Paris, Rabat met sur la table une alternative au plan de l'ex-secrétaire d'Etat américain : le dit «Plan d'autonomie» pour le Sahara Occidental qui exclut toute idée d'autodétermination autre que celle qui consiste à entériner la «souveraineté» marocaine sur le territoire sahraoui. Ce projet ne fera pas recette malgré le zèle avec lequel la France et l'Espagne ont tenté de le vendre à l'étranger. Les Nations unies, avec la venue, au début de l'année 2009, du nouvel envoyé du SG de l'ONU, ont tracé la ligne rouge infranchissable pour la magouille diplomatique franco-espagnole : le droit à l'autodétermination. Un symbole est né La réalité a commencé à se gâter pour Rabat lorsque la communauté internationale, à sa tête les organisations humanitaires et les institutions démocratiques européennes, comme le Parlement de Strasbourg, ont commencé à s'intéresser de plus près à la situation des droits de l'homme au Sahara Occidental. Les choses vont s'accélérer vers la fin de l'année 2009 pour offrir au monde une autre image du Maroc, la vraie d'un pays que l'Union européenne a gratifiée «statut avancé». Derrière ce changement d'attitude des Occidentaux, Aminatou Haider. Une femme déterminée, une dame de fer dont la grève de la faim – pour exiger son retour à Al Ayoune d'où l'ont expulsée les Marocains dont elle refuse de partager la même nationalité – s'est avérée l'arme la plus redoutable pour sortir le monde de son silence sur les violations flagrantes des droits de l'homme par le Maroc au Sahara. Madrid patauge, Paris panique et, finalement, soumis à toutes les pressions extérieures, Mohammed VI cède. Aminatou Haider rentre à Al Ayoune. Elle n'est pas libre, mais elle est chez elle. Un symbole est né. Régionalisation synonyme d'annexion Contre ce symbole, le Maroc dont l'image est ternie plus qu'elle ne l'a jamais été encore en Occident, doit agir. L'idée de l'ami du roi, le puissant ministre de l'intérieur Chafik Benmoussa, d'expulser l'indépendantiste sahraouie vers Lanzarote (en Espagne) a causé beaucoup de dégâts. Benmoussa sera le fusible. Le roi décide sur le coup un remaniement ministériel pour faire main basse sur le gouvernement. Une décision qui vient contredire ce qu'il avait promis, la veille, à son peuple, d'aller vers plus de décentralisation du pouvoir. Dans la précipitation, le ioi Mohammed VI annonce un «plan de régionalisation avancée» pour donner plus de pouvoir aux régions, en commençant par ce qu'il appelle ses «provinces du sud». Il reprend là une vieille idée qu'il ne s'est jamias senti pressé de mettre en œuvre. Son objectif principal, c'est moins, comme il l'a affirmé, le souci de «moderniser» le pays le plus fortement centralisé du monde, mais de contrer le succès remporté par la cause sahraouie après l'action de Mme Haider. Par régionalisation du Maroc, le roi entend annexion pure et simple du Sahara occidental occupé depuis 1975. Une provocation Le projet de Mohammed VI est, en fait, une nouvelle provocation contre, l'a fait observer très justement l'éditorialiste du quotidien espagnol El Mundo, une provocation contre les Nations unies. Le roi du Maroc a voulu, à travers cette manœuvre, devancer l'initiative de Christopher Ross d'orienter les négociations maroco-sahraouies vers la mise en application du droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. Forcément, la «régionalisation avancée» a déjà été rejetée par le Front Polisario. Les observateurs se demandent alors sur qui les deux parties vont s'entendre, du moment que Rabat a mis ce préalable sur la table. C'est exactement ce qu'il avait fait lors des rencontres de Manhasset avec son «plan d'autonomie» comme base de travail des négociations. C'est une provocation aussi contre le gouvernement socialiste espagnol qui a dû, sous la pression de la société civile et de la classe politique avec l'«affaire Haider», renoncer à l'inclinaison de sa position vers les thèses marocaines. Le roi Mohammed VI a voulu transmettre un message au gouvernement espagnol l'avisant que le projet de «régionalisation avancée», c'est Moratinos qui le lui a soufflé. Ce projet est inspiré du modèle des autonomies en Espagne. Or l'Espagne assure, actuellement, la présidence tournante de l'Union européene et devra faire attention à ne pas s'éloigner des thèses des Nations unies. Elle devra, surtout, promouvoir une solution au conflit sahraoui conformément à la légalité internationale. Zapatero osera-t-il défier Mohammed VI ? Rien n'est moins sûr là encore. Il ne l'a pas fait au moment fort de la provocation marocaine avec l'expulsion de Mme Haider. C'est enfin un défi lancé à la société civile et aux organisations humanitaires internationales qui ont apporté leur soutien le plus franc à la cause sahraouie et levé le voile sur les violations des droits de l'homme au Sahara Occidental. Le Maroc a prouvé, une fois de plus à travers la dernière intiative de Mohammed VI, qu'il excelle dans l'art des manœuvres les plus grossières. Le plan de «régionalisation avancée» en est une de plus.