Notre deuxième escale côtière fut la daïra d'Azeffoun. A mesure que les kilomètres s'égrènent, nous constatons la beauté d'une région presque désertée par ses habitants avant de parvenir à l'ex-Port Gueydon, deuxième pôle côtier important de la wilaya de Tizi Ouzou. Des terres agricoles en jachère, quelques villas d'été, ou encore des carrières de pierre, du côté d'Aït Rehouna entre autres, longent la RN 24, détériorée à plusieurs endroits. D'une traite, nous traversons Azeffoun, légèrement secouée par une brise matinale, pour lui revenir en fin de journée, chargés de réalités autres, celles des citoyens plus qu'hospitaliers des hameaux d'Aït Chaffa, commune limitrophe de la wilaya de Béjaïa, qui cherche elle aussi sa part de développement. 18 km plus loin, nous bifurquons à droite pour remonter les 6 km qui nous séparent de la région chère à Tahar Djaout. C'est à Igoujdal, village connu pour être le premier en Kabylie à prendre les armes contre l'hydre terroriste, que nous effectuons notre première halte. Aït Chaffa, une hospitalité légendaire Une petite baraque en parpaing sur la route fait office d'une huilerie. Nous décidons de nous entretenir avec le propriétaire. «C'est une entreprise familiale créée en 2006», nous répond-il précisant toutefois que c'est «grâce au financement de mon père que mon projet a vu le jour». Le sympathique jeune qui compte toutefois agrandir sa petite entreprise, nous fait savoir que le matériel utilisé est un matériel d'occasion. «Je n'ai pas encore essayé de décrocher un projet dans ce sens», nous dit-il craignant les obstacles administratifs. «Pour l'heure, l'entreprise me fait vivre ainsi que les deux jeunes employés payés à l'heure», affirme-t-il. Nous visitions les locaux de l'entreprise et quelle fut notre surprise lorsque la mère du propriétaire, nous apporta des figues et du pain kabyle, nous invitant a déguster une huile pure. Nous la remercions non sans reconnaître l'hospitalité caractéristique à cette région. Un vieil homme de 81 ans, en très bonne santé, client de l'huilerie nous dira. «Je suis de Takerietz (Béjaïa), j'ai toujours amené ma production ici. Ce sont des gens bien», dit-il tout en affirmant qu'il a planté, depuis son retour de France, un grand champ d'oliviers dont 250 sont ravagés par les feux. «S'ils nous incendient 100, on plante 200», dit le patron de l'huilerie, qui tient ces paroles de son père. Il nous indiqua une autre huilerie traditionnelle, celle-ci, que nous avons aussi visitée. Le décor rappelle à quel point les kabyles tiennent aux traditions. Deux femmes s'affairaient à recueillir l'huile, alors que les hommes s'occupaient des grands travaux. «Il y a des gens qui viennent extraire leur huile ici, parce qu'elle n'est pas mélangée à de l'eau. De la vierge pure», nous informe, un des jeunes. «Ici, on est tous membre de la même famille», explique le gérant de l'huilerie. «D'autres collègues à vous sont venus ici pour filmer», ajoute-t-il, avant qu'une des femmes nous fasse goûter son huile. Les jeunes ont le regard ailleurs : travailler pour repartir De fil en aiguille, nous apprenons que l'un des jeunes a passé 5 ans en Grèce et en Turquie avant de rentrer au bercail. Pour de bon ? «Non, à la moindre occasion, je repars», conteste-t-il. Et qui va préserver la tradition dont vous vous revendiquez ? «Il n'y a point d'inquiétude de ce côté-là», rétorque-t-il : «Il y a la relève.» Nous quittons Igoujdal sur cette note d'une jeunesse désemparée pour rejoindre, au chef-lieu, d'autres jeunes aux ambitions multiples mais qui n'arrivent pas à se situer dans une armada de contradictions. «Je m'occupe d'un poulailler réalisé avec mes moyens personnels», nous dit un jeune rencontré au café du village. Son voisin avoue avoir tenté plusieurs expériences sans résultats. «J'attends», s'est-il contenté de dire. Un membre du comité de village intervient qui mais en cause les autorités locales qu'il accuse d'immobilisme. «Ça fait 24 mois que l'éclairage public du chef lieu est installé mais il ne fonctionne toujours pas», fait-il remarquer d'emblée avant de nous montrer un poteau électrique otage d'une extension de la mosquée du village. «Regardez comment sont gérées les affaires locales», s'indigne-t-il. Un ancien maquisard, handicapé, intervient en prononçant une sentence lourde de sens. «Nous ne sommes pas encore indépendant.» Une politique de l'emploi qui fait fuir Pour lui, il est inconcevable que des jeunes d'après indépendance se retrouvent soit au chômage soit à «recevoir des miettes» dans le cadre du filet social. C'est la même indignation qu'à Iflissen où, l'on critique «l'embauche» par l'APC, d'un gardien et d'un ouvrier qualifié, pour une population qui avoisine les 20 000 habitants. Sur le chemin du retour, nous traversons le village quasi-vide, d'Oulkhou où est né Tahar Djaout. Nous tombons nez à nez avec le vice-président d'APC qui, à l'instar des villageois, insiste sur les capacités de la région à prendre en charge ses citoyens, pour peu que les moyens suivent. «Nous demandons à ce qu'un effort supplémentaire des pouvoirs publics soit consenti pour relancer la zone d'activité d'Aït Chaffa ainsi que la ZET, pour maintenir les populations locales en place», dira-t-il. En effet, toutes les régions que nous avons parcourues, sont étrangement vides. A défaut d'investissements et même de petites entreprises, on l'a vu, inexistantes, les jeunes se ruent sur les grandes villes à l'instar d'Alger ou de Tizi, à la recherche de l'emploi. Même constat à Cherfa, village situé sur les hauteurs d'Azeffoun. A son entrée, quelques bambins jouaient au ballon. Il nous a été difficile de rencontrer un interlocuteur. Un homme d'un certain âge s'amène et nous renseigne enfin sur les dessous d'un village comme tous les autres. «A défaut de travail, les jeunes traînent dans les cafés d'Azeffoun, et guettent le moindre emploi dans le bâtiment. Ceux qui ont la chance ont quitté le village pour les grandes villes», constate-t-il. Il nous accompagne néanmoins au cœur de l'ancien village inhabité et nous fait visiter «les vestiges de l'histoire». Au retour, nous passons devant la nouvelle mosquée dont l'extension est «prise en charge» par l'association du même nom. Ce sont des jeunes du village qui «gagnent ainsi leur croûte», fait-il remarquer. Rabah est l'un d'eux. Il est infographe à Alger, mais profite de son congé pour quelques poignées de dinars de plus. «Je suis père de famille, il le faut bien, en plus ici, je m'éloigne du bruit de la ville», dit-il. Quant à ses ambitions, «je les laisse pour moi», nous dit-il ironiquement, expliquant que la vie réserve parfois bien des surprises. Surprise, c'en est une en effet pour cette vaste région côtière qui patiente toujours. «La vie est si belle ici, mais très pénible.» L'hiver fait peur en haute Kabylie Notre virée dans la Kabylie du Djurdjura a coïncidé avec le retour de l'hiver. Une occasion idoine d'avoir un aperçu grandeur nature du rude quotidien de villageois qui se chauffent toujours au gasoil ou au bois acheté à prix fort. Pas habitué à ces caprices extrêmes de dame nature, notre chauffeur ne cessait de ressasser : «berd» d'autant plus qu'à mesure que nous montons vers les cimes, la température baisse sensiblement. Une anecdote qui renseigne néanmoins sur la dure réalité de nos villages reculés. Passé Azazga où commença notre périple, la pluie qui tombait toute la matinée, baissait d'intensité. Au loin, nous apparaissent plusieurs crêtes du majestueux Djurdjura ayant déjà revêtu leur manteau blanc de saison. Si cette nature d'une beauté romantique fera trembler de bonheur, le visiteur elle fait trembler en revanche ces montagnards de peur, d'inquiétude et de… froid. Cap sur Bouzguène que nous n'atteindrons qu'après avoir traversé plusieurs villages. Nous croisons un camion chargé de bouteilles de gaz à Ifigha. Un glissement de terrain plus loin qui menace les automobilistes, une femme transporte de l'eau à dos d'âne. Tailleur de pierres, un métier d'enfer Parmi ces villages blottis entre les pierres, notre attention fut attirée à Rabta, par une abondance de cette matière aux abords du chemin. Halte. Karim est un de ces nombreux jeunes qui ont en fait un gagne-pain. Ayant quitté tôt les bancs de l'école, notre jeune s'est reconverti, chômage galopant aidant en «casseur de pierres». Après s'être assuré que nous ne représentons pas l'inspection des impôts, il nous raconte son parcours et ses désirs. «Je rassemblais d'abord les pierres que je venais de casser avant de les vendre à 70 DA l'unité», conte-t-il. «Grâce à mes économies, j'ai acheté une machine à 120 000 DA qui me permet aujourd'hui de vivre», dit-il constituant ainsi le 8e artisan tailleur de pierres du village. Depuis 2002 date de début de son activité, ce jeune ne dispose ni de registre ni de carte d'artisan et doit encore une somme conséquente aux «impôts». Je devrais bien patienter encore sinon je ne pourrais pas payer mes 6 employés (un machiniste, un «dégrosseur» et 4 tailleurs) explique Karim dont le souhait est de régulariser sa situation. Il vient de s'offrir un broyeur «pour ne perdre aucun déchet», dit Karim tout en expliquant que son «entreprise» effectue aussi la pose de pierre : «Le prix varie entre 5500 DA et 7000 DA le mètre carré selon l'état de la pierre (taillé ou brut)» dira-t-il encore. Il faut bien vivre nous répond-il lorsque nous évoquons les maladies que son métier provoque. «On vit pour mourir», ironise un autre. S. M.