L´ombre des Kennedy a beaucoup plané sur les élections américaines de novembre 2009. Certains diront que si, d´outre-tombe, John Kennedy a inspiré, depuis 1963, l´idéologie de celui qui deviendra le premier président noir américain, son jeune frère Edward a ouvert grandes les portes de la Maison-Blanche devant Barack Obama depuis les primaires face à Hillary Clinton. L´homme le plus sexy au sénat Celui qui a été à l´origine de l´élection de Barack Obama accompagnée d´une majorité sur le fil du rasoir pour le parti démocrate, le sénateur Edward Kennedy, son départ expliquera logiquement, cette fois, la déroute du parti démocrate. Le siège du défunt sénateur démocrate de l´Etat du Massachusetts a été remporté par le candidat républicain Scott Brown. Un inconnu, ce populiste sans envergure politique ni même une réelle identification idéologique ? Brown est déjà célèbre pour avoir posé nu dans sa jeunesse, pour la presse rose, afin de devenir l´homme le plus sexy des Etats-Unis. Ironie du sort, ce titre avait été remporté, avant lui, par John John, le fils de John et de Jackie Kennedy, avec autrement moins d´excentricité, avant de connaître le sort tragique de son père, puis de son oncle Robert, dans le crash de son avion personnel qu´il pilotait seul. Le fils Kennedy a eu la pudeur de ne pas faire valoir son charme physique dont il n´avait d´ailleurs nullement besoin pour aller au sénat ou même entrer à la Maison-Blanche. Perdre un siège dans une démocratie où le Congrès censure le président le plus fort du monde peut marquer un tournant dans la carrière d´un chef de la Maison-Blanche, l´otage du 51% c´est tout et 49% c´est rien. Le siège du Massachusetts ne signifie pas la perte du parti démocrate ou du président Obama qui a des arguments à son actif, après la période d´une année à la Maison-Blanche qu´il a célébré la semaine dernière. L´amertume ne peut cependant être que profonde pour lui, car la perte de la majorité démocrate au sénat le prive du soutien dont il a besoin pour mettre en œuvre ses priorités au plan international, et réaliser le rêve qui est à la base de sa politique sociale : la réforme de la sécurité sociale. Un projet qui représentait plus qu´un enjeu, un défi que même le très populaire Bill Clinton n´a pu relever. Lui, par contre, il y a cru dur comme fer, lorsque la chambre haute au sein de laquelle les démocrates avaient la majorité d´un siège avait soutenu son projet de réforme de la SS. Le président qui s´est fait seul Aujourd´hui, c´est le désenchantement dans les milieux pauvres – les laisser-pour-compte sont plus nombreux aux Etats-Unis qu´ailleurs en Occident – dont le droit aux soins de base est remis désormais aux calendes grecques, les femmes peuvent toujours accoucher aux portes des hôpitaux et les Noirs de Boston continuer à se reconnaître dans la tragédie de leurs frères d´origine à Haïti. Dans une conjoncture interne des plus difficile, le président de tous les rêves n´a pas pu savourer ce qui apparaissait comme le début de la marche vers une Amérique plus solidaire, socialement plus solide. Il ose néanmoins garder encore espoir, car ni le sénat ni le congrès américain ne ressemblent – loin de là – aux chambres hautes et basses des démocraties européennes où fonctionne automatiquement la majorité au pouvoir. Aux Etats-Unis, traditionnellement, les élus ont des principes et ne sont pas les otages de leurs partis. Leur légitimité, ils ne l´ont pas méritée par le soutien de leur seul courant politique d´origine ou la générosité des patrons des industries polluantes ou des banques (tiens, tiens), mais aussi par eux-mêmes. Barack Obama et Bill Clinton, à l´opposé de G. Bush, se sont faits eux-mêmes. En Amérique, le président qui s´est fait seul finira seul s´il ose trop défier le nerf de la guerre qui est celui de la politique : l´argent. Moralement, c´est encore le meilleur argument qui peut servir la politique du président actuel des Etats-Unis qui mène plusieurs batailles à la fois, non sans commettre des erreurs d´appréciation ou des impairs qui risquent de décevoir et les Américains et le reste des peuples qui, à travers le monde, suivent avec plus d´attention la politique de la Maison-Blanche que celle de leurs propres gouvernements, pour l´influence du président des Etats-Unis sur le sort de la planète. Trop de batailles à la fois, c´est se faire à terme trop d´ennemis à la fois. La déception Obama a déçu un certain nombre de fois en une seule année. Une première fois, par sa stratégie pour l´Afghanistan qui appelle à plus d´engagement militaire dans ce pays où les talibans ne se montrent nullement impressionnés par la force atlantique sur place. La guerre sonnait faux dans sa bouche mais il la fait avec le même zèle que son prédécesseur. En prime, il a reçu le prix Nobel de la paix. Mais avant l´Afghanistan, il avait déçu les espoirs placés en lui pour activer le processus de paix au Proche-Orient où il mène la politique des «petits pas» par laquelle la diplomatie des républicains a conduit là où se trouve le problème palestinien en 2009. Autrement dit, moins de terres arabes, moins d´espoir d´un retour d´Israël aux frontières de 1967 et plus de juifs en Cisjordanie. Il a déçu au sommet de Copenhague en soutenant l´intérêt de l´industrie américaine, la plus responsable du la plus grande partie du trou dans la couche d´ozone, au sort commun de la planète. Pour confirmer la déception, il a enfin dressé une liste de pays dont les ressortissants sont jugés infréquentables. De la ségrégation pure et simple. Son idée, que la secrétaire à la sécurité nationale des Etats-Unis, Mme Janet Napolitano, est venue exposer à la réunion sur la sécurité qui s´est tenue jeudi à Tolède, dans le cadre de la présidence semestrielle espagnole de l´Union européenne, n´a pas fait recette auprès des ministres de la Justice et de l´Intérieur des «27». Par politesse diplomatique, les ministres européens ont décidé de reporter et non de clore le débat autour de l´utilisation de la nouvelle mesure de contrôle corporel par scanners des passagers d´un certain nombre de pays. Ils ont préféré une formule moins spectaculaire, comme la création d´un grand registre européen des passagers. Le rêve qui ne fait plus rêver Même là où il ne devait pas rencontrer de problème, au plan de la lutte contre le terrorisme, Obama devrait désormais convaincre. Le ministre espagnol de l´Intérieur, Alfredo Rubalcaba, a laissé échapper une formule qui situe la différence d´approche du phénomène terroriste par les Européens et les Américains. «L´utilisation des scanners sera préjudiciable en matière de transport aérien et compliquée au plan juridique, car les législations aux Etats-Unis et en Europe ne sont pas les mêmes», a-t-il laissé entendre à Mme Napolitano. Cette réponse est l´illustration que le rêve Obama ne fait plus rêver beaucoup de monde, ni les laisser-pour-compte qui n´auront pas droit aux soins de base comme en Europe, ni les banques auxquelles le chef de la Maison-Blanche est en train de mener la guerre de l´impôt sur les bénéfices. Oui, Wall Street, frappée comme elle l´avait été par la crise financière à la fin du mandat de Bush, avait rêvé, elle aussi, de changement à la Maison-Blanche, mais sans trop y croire. S´attaquer à la puissance financière comme le fait Obama, c´est très courageux. Les Européens lui emboîtent d´ailleurs le pas, comme ils l´ont fait pour injecter de l´argent public dans les caisses des banques pour sauver ces institutions de la faillite financière. Pour aussi louable qu´elle soit, la mesure du président Obama risque d´être contre-productive et chèrement payée par le contribuable américain. Aujourd´hui, les bourses sont en chute libre, un scénario de veille de crise économique. Qui en payera la facture ? Certainement le système financier américain, le vrai pouvoir aux Etats-Unis. Celui qui a ouvert la voie du sénat à un jeune play-boy dont la voix peut décider du sort des plus pauvres qui sont la vraie majorité sociale aux Etats-Unis, décider pour combien de temps doit encore durer la guerre et de ce qui est bon ou mauvais pour la planète.