Qu'est-ce que les choses ont changé à Ighil Ali (93 km de Béjaïa) ! Comme une race animale éteinte, le métier à tisser a complètement disparu de nos jours à Ighil Ali. Il n'y a pas si longtemps, dans les années 1980 pour préciser, les burnous, les tapis et autres couvertures appelées localement «ihembel», étaient tissés par des vieilles et même des jeunes femmes, lesquelles les vendaient ensuite. Elles vivaient de ce métier, lequel rapportait malgré tout. Les quelques nostalgiques se souviennent, avec un pincement au cœur, de ces «abeilles», pas celles qui fabriquent le miel, mais de l'azetta haut en couleur, avec de la toison ovine, en «butinant» d'un fil à l'autre. Cette toison qu'elles cardaient avec des cardes, tout en fredonnant des chants du terroir, est tripotée et effilée pour en faire des fils, qui serviront ensuite à tisser. Ces fils, appelés en kabyle assarou (issoura au pluriel), sont noués autour de poutres horizontales appelées ifeggaguen, le travail pouvait alors commencer. Les tisserandes commencent un travail long et harassant, qui demande beaucoup de dextérité, de la patience et beaucoup d'amour pour ce métier. N'ayant connu ni l'école ni aucune formation, ces femmes valeureuses et imaginatives créent, en matérialisant magistralement des images mentalement conçues. Les couvertures (ihembel) sont généralement truffées de motifs géométriques, surtout les losanges et les triangles. Ces couvertures, lourdes et réchauffantes d'ailleurs, avec lesquels se couvraient tous les membres de la famille, lesquels dorment l'un près de l'autre, en se racontant des contes de tsariel (el ghoula). Elles tissent également des burnous blancs maculés ou marrons. Ces habits sont très réchauffants en hiver et donnent un aspect agréable à voir. Le burnous a de tout temps était un symbole de notre identité. L'Algérien est connu d'ailleurs pour son burnous, comme les Américains pour leurs jeans. Malheureusement, les temps modernes ont eu raison de l'azetta à Ighil Ali. D'après nos renseignements, aucune femme ne tisse à présent. Ce métier est perdu car le flambeau s'est éteint avec la disparition des tisserandes. Néanmoins, à El Kelâa, le village d'El Mokrani, il paraît que l'on perpétue encore ce métier. Cependant les tisserandes se compteraient sur les doigts d'une main. Azetta a perdu ses «amours» et ses ifeggaguen par la faute des temps modernes, qui ont tout dénaturé.