Les moustiques font la loi en l'air, les rats par terre et le citoyen est entre les deux ! Voilà à quoi ressemble le quotidien des enfants des Genêts à cause des ordures. Le constat est fait, l'erreur est partagée, la responsabilité aussi, mais il faut des solutions appropriées. nous avons rejoint vers 21h 45, à la rue de la Paix, l'équipe du service de la voirie de la commune de Tizi Ouzou, à bord d'un camion à benne-tasseuse, un K66 qui avait sillonné quelques quartiers déjà. «Montez, il est rare que quelqu'un s'intéresse à ce que nous faisons, ça tombe bien, vous allez pouvoir découvrir pendant qu'on travaille ce que l'on endure», c'est le message de bienvenu de ammi Saïd, chauffeur, la cinquantaine passée. Pendant que les présentations se font, un citoyen passe à ammi Saïd une pastèque d'environ 4 kg. «C'est gentil à vous monsieur. Dieu merci, il y a des gens qui nous respectent. ça n'arrive pas tous les jours, mais il y a parfois des personnes qui compatissent avec notre misère et nous offrent de la galette, du pain… c'est ce que mangent les éboueurs en fin de travail, avec un peu de lait ou de petit-lait.» Il a fallu passer 4h de temps en compagnie d'une équipe d'éboueurs, à bord d'un camion, pour s'enquérir de leurs conditions de travail. Rentrer, ne serait-ce qu'une fois dans la peau d'un éboueur, on ressort l'âme déchirée et peinée. Inutile de faire parler des ouvriers, fatigués et lassés. Les images parlent d'elles-mêmes. La visite d'un journaliste est perçue comme une rédemption. Contrairement à ce que certaines personnes pensent de ces hommes, la plupart d'entre eux sont des pères de famille qui nourrissent leurs enfants en salissant les mains et en s'exposant aux pires maladies. Ils ne sont pas aussi crédules, car ils reçoivent des impressions et ils savent s'exprimer sur leur environnement. Longeant la rue Abane Ramdane, le véhicule roule lentement. Trois éboueurs, vêtus de leurs toutes nouvelles combinaisons bleu foncé avec un trait fluorescent, accompagnent le camion à pied. Ils chargent la benne de sacs d'ordures, entassés sur les trottoirs. Les sacs-poubelles sont posés n'importe où, sur les bordures de la trémie, près des cabines téléphoniques… La cadence est maintenue jusqu'au carrefour du centre-ville. A l'arrière du camion, sur le marche-pied, on entend des plaintes d'un autre genre. Qu'en est-il de la prise en charge sanitaire ? Agrippé à une barre transversale, l'un d'eux dit : «Avec tout ce qu'on fait, les gens disent que la voirie de Tizi Ouzou ne travaille pas. Nous faisons deux rotations dans le même secteur avant de rentrer. Les habitants doivent nous aider. La propreté est l'affaire de tous. C'est un travail très pénible et nous le faisons avec amour. Les autorités doivent nous encourager. Personne ne s'occupe de nous. Les aides sociales partent ailleurs. Nous n'avons pas de couverture sanitaire. Les ordonnances délivrées par la médecine du travail ne sont pas reconnues à la Cnas», déplore un ouvrier, en vociférant. Mohand compare son métier à celui du fonctionnaire et s'interroge : «Pourquoi nous n'avons pas droit à un téléviseur et un foyer pour décompresser le soir avec les collègues ? A l'heure du repos, pourquoi n'ai-je pas droit à la climatisation ou au chauffage ?» Des questions pourtant auxquelles il faut apporter des éléments de réponses, mais que dire ? «Que Dieu soit avec vous !» Les balayeurs sont les plus vulnérables. Trottant les rues de la ville, des personnes indélicates et sarcastiques rompent parfois leur travail. «Certains n'hésitent pas à vous aborder et à vous insulter. Ce sont des ivrognes en général, mais je change complètement de trottoir pour les éviter», dit Mokrane avec un grand pincement au cœur, ce cinquantenaire, qui a 19 ans de service dans la voirie communale. «On part à la décharge, le camion est plein», annonce l'un des éboueurs. A l'arrivée, un camion de type C260 appartenant au même service vient de décharger. Au loin, le chauffeur d'un tracteur sans feux peine à manœuvrer sa machine dans l'obscurité. Le gardien, un récupérateur de plastique, informe qu'«un pseudo propriétaire des terres environnantes conteste le déchargement des ordures sur les accotements de la piste qui mène à l'intérieur du site. Il m'avait demandé de retenir l'immatriculation des véhicules !» «C'est aberrant, pourquoi ils s'en prennent à nous ?», dit ammi Saïd, sans aucun autre commentaire. Il est 23h45. Et demain il fera jour La tournée touche à sa fin. Tous les secteurs viennent d'être nettoyés. «Nous allons vers la sortie est de la ville. Lorsqu'on reviendra, je vous prie de vous rappeler dans quel état nous avons laissé cette rue (Abane)», nous prévient Mokrane. Il est certain que les éboueurs font leur travail. Par contre, des citoyens ne respectent pas les horaires de dépôt de leurs immondices, parmi eux d'incorrigibles commerçants. «Normalement, nous ne sommes pas obligés de les attendre», rouspète ammi Saïd. Les autorités sont plus qu'interpellées pour verbaliser et pénaliser certains comportements. Aussi, l'union locale des commerçants (UGCAA) devra-t-elle jouer son rôle. «Ça ne nous prendra pas plus de temps si tout le monde respectait ses horaires», déclare un ouvrier. En descendant vers la station de fourgons (l'ex-abattoir), un balayeur pousse péniblement son bac roulant, ramassant du papier, des sachets et des bouteilles en tout genre. Visiblement essoufflé, il s'appuie de tout son poids sur le bac pour le faire avancer. Il se fait tard. Le ronronnement du moteur et la sonnette du levier bourdonne dans la tête. Ereinté, le visage du chauffeur se contracte et ses manœuvres deviennent de plus en plus lourdes. Retour au siège de la direction. Pour des raisons de sécurité, le camion va être déchargé dans la matinée. «On se fait agresser et tabasser par des jeunes perfides», nous informe le chauffeur. Et d'ajouter : «Le service de collecte avait perdu un camion et un tracteur, qui ont été volés à la décharge.» Il est minuit, les travailleurs se précipitent à leurs casiers pour se changer et se laver. Certains d'entre dormiront l'estomac vide (sans s'hour). Le dortoir est une salle où 18 éboueurs sont entassés. «Comme vous pouvez le constater de vous-mêmes, nous n'avons pas de linge et certains matelas sont repoussants. On partage ce hangar avec les rats et les moustiques.» Avant de partir, un ouvrier déclare d'une voix écrasée : «On ne déteste pas notre métier. Nous sommes conscients que la santé publique dépend, en partie, de nous. Mais qu'on nous encourage, ne serait-ce qu'avec un peu d'attention.» En rentrant, le personnel de la collecte a laissé derrière lui une ville impeccablement propre. Mais, il sera à peine 9h du matin que les caissons à ordures se remplissent de nouveau !