Diar Echem's, la cité HLM, a dû certainement mériter cette distinguée appellation lorsqu'elle a vu le jour dans les années 50 sur l'un des sites privilégiés des hauteurs d'Alger, avant de devenir, au fil du temps et sous le poids d'une crise de logement décennale, un obscur affront à l'urbanisme et l'une des plus sombres images d'«Alger La Blanche». Cette image d'une cité populaire rivalisant dans la misère sociale avec les nombreuses cités-dortoirs d'avant et d'après l'indépendance n'est, hélas, ni seule, ni isolée. C'est peut-être même l'image la plus répandue dans la plupart des quartiers de la capitale, la plus tristement fidèle des normes architecturales de mauvais goût, devenues la règle de l'urbanisme à Alger, Oran et Constantine. Chaque quartier de la capitale a sa tache noire, son «bidonville», sa «banlieue chaude» et, inévitablement aussi ses «beurs». Une réalité qui est loin d'être une fatalité C'est une réalité, aujourd'hui, loin d'être une fatalité ni l'«exploit» dans l'horreur d'architectes mal inspirés. C'est tout simplement la conséquence de la dimension d'une crise de logement, cumulée sur trois décennies, conjuguée à l'absence d'une vraie politique d'urbanisme, aidée par le comportement clientéliste d'élus locaux, là pour se servir et non pour servir, et jusqu'à l'incompétence d'une administration locale irresponsable et laxiste sur la juste répartition des droits sociaux de base des citoyens, dont le droit au logement. On ne saurait expliquer autrement pourquoi des élus, par centaines, à leur tête des présidents d'APC mal choisis, donc notoirement impopulaires, se sont retrouvés entre quatre murs. Ou encore que l'une des premières décisions du président Bouteflika, au début de son premier mandat, salutaire pour le pays et saluée par tous les citoyens, fut de mettre à la porte 22 walis. C'est à travers un tel anachronisme qu'il faut voir la persévérance d'un certain malaise social, malgré une décennie d'efforts pour éradiquer la crise de logement et en finir durablement avec la méprisante politique des cités-dortoirs. Non dans l'action de l'Etat. Rendre à César… Un million de logements construits et distribués, en 5 ans, c'est un remarquable indice d'une dose de social dans le programme de gouvernement du président Abdelaziz Bouteflika. En termes statistiques, c'est une performance qui a réduit les temps d´attente d'accès au logement neuf de deux décennies, au bas mot, à quelques années. Les habitants de «Diar Echem's», la cité d'une parabole par fenêtre, le savent. C'est peut-être pour cette raison qu'ils ont exprimé cette crise d'impatience, instruits de certaines méthodes, peu honnêtes, dans la mise au point des listes des attributaires dans les communes du pays. A la différence des habitants de «Diar El Kef», ils ont la maladresse de décliner l'offre du gouvernement de les intégrer dans le programme de réforme lancé à la suite des tragiques inondations de Bab El Oued en 2001. De retaper leur cité comme cela a été fait pour «Diar el Kef». Depuis, ils attendent leurs logements neufs, depuis très longtemps, mais si Zerhouni a tenu à les rassurer sur leurs droits, il a lui aussi des arguments de poids et les a sortis à l'occasion. «L'Etat, dit un vieil adage populaire, comme le chameau a toujours bon dos». Il faut donc «rendre à César ce qui appartient à César et aux habitants de Diar Echem's ce qui leur appartient». Et Dieu saura reconnaître les siens. Les émeutes de «Diar Echem's», pour aussi légitime que soit le ras-le-bol de ses habitants, sont-elles, pour autant justifiées ? Sont-elles un acte de désespoir comparable aux événements qui ont conduit, un certain 5 octobre 1988, droit vers le chaos social, avec tout ce que le pays a connu depuis comme tragédies dont les Algériens continuent à en payer le prix ? Une nouvelle leçon d'octobre ? Ce sont des émeutes faites, il faut le souligner, avec un amalgame de jeunes sincères, d'innocents mineurs, mais aussi de notoires repris de justice, manipulés ou prêts à solder leurs comptes avec l'Etat, qui relèvent, cette fois plus du dérapage que de la révolte sociale. Derrière ce beau monde, des forces occultes. Il ne faut pas être frappé de paranoïa pour l'imaginer. Il s'agit de comportements dont il ne faut pas minimiser le message, sans aucune portée, toutefois, ni sur l´équilibre social de la capitale, ni sur les aspirations des citoyens à la quiétude. Le prix d'un logement pied dans l'eau à Benidorm N'exagérons donc rien. Ces manifestations sur fond de crise sociale ne sont pas une nouveauté en Algérie. Pratiquement toutes les APC du pays ont vécu pareils désordres, plus d'une fois, surtout au lendemain de la publication des listes des bénéficiaires des logements sociaux. Elles ont servi à donner un peu d'espoir aux pêcheurs en eau trouble, toujours à l'affût de ce qui peut rééditer «octobre 88». Certains urbanistes n'ont pas tort, eux, de conclure que bien des phénomènes violents, dont le terrorisme, se nourrissent de la misère dans ces cités-dortoirs et se mesurent au rapport de l´homme à l'espace. Ce fut vrai, voilà deux décennies. Ça ne l'est plus dans l'Algérie de 2009, même si la crise de logement n'est pas encore derrière. La raison est évidente : sans sous-estimer la justesse d'une demande sociale, il n´existe pas, en Algérie, en 2009, d´ingrédients d´un malaise profond de société. Moins en tout cas dans le secteur de l´habitat où, faut-il le répéter, l´effort de l´Etat est sans précédent. Un effort compromis par la spéculation qui fait que le terrain à bâtir à Alger, soit devenu plus cher que dans la plupart des capitales européennes. Le sachet poubelle a poussé le prix d'un F3 dans la plus modeste des cités à près de 200 000 euros. Le prix d'un logement pied dans l'eau à Benidorm. Mais ici on n'est plus dans le domaine du social, ni du participatif. L'Etat a tracé ses priorités et la spéculation immobilière a encore de beaux jours devant elle. Pour le moment, il faut continuer d´éradiquer l'habitat précaire, les centres d'hébergement provisoire pour sinistrés et favellas du genre «Diar Echem's» et de savoir traiter avec adresse les possibles mécontentements populaires. Pour déjouer certaines tentations partisanes sur fond de misère du compatriote. C´est un très bon indicateur de stabilité et de bonne gouvernance. L´Etat n'a pas paniqué cette fois. Les forces de l'ordre ont su garder leur sang-froid et traiter le sujet de manière proportionnée, sans réprimer des actes qui ont pris, parfois, les allures d'une véritable provocation. Pas un seul blessé parmi les manifestants mais une bonne dizaine parmi les jeunes policiers dont beaucoup viennent, eux aussi, des quartiers populaires, vraisemblablement de «Diar Echem's».