Regroupés dans une «Coalition pour la réforme constitutionnelle et politique», quatre partis politiques principaux égyptiens d'opposition ont planché, trois jours durant cette semaine, au Caire, sur un projet politique se posant en une «alternative sûre», en prévision des prochaines échéances électorales déterminantes (législatives et présidentielle) pour le devenir du pays. La sortie de cette coalition, formée des partis Nassérien du Rassemblement (gauche), du néo-Wafd et du Front national démocratique (libéraux), qui exige une refondation du système politique égyptien hermétiquement fermé par le parti au pouvoir, intervient au moment où les spéculations enflent sur l'état de santé du président Mohamed Hosni Moubarak, hospitalisé depuis une dizaine de jours dans une clinique allemande où il vient de subir officiellement et «avec succès», une opération d'ablation de la vésicule biliaire et d'un kyste bénin à l'intestin. Les médias gouvernementaux n'ont jamais été aussi prolixes dans la communication sur l'état de santé du Raïs, et les radios et télévisions officielles diffusent depuis quelques jours en boucle des flashs rassérénants, selon lesquels le président poursuit sa convalescence dans les meilleures conditions, pour juguler les rumeurs alarmistes véhiculées par l'opposition. Et un analyste égyptien particulièrement lucide estime que «la médiatisation inhabituelle de son hospitalisation, le fait que le mot "biopsie" ait été employé à la télévision publique, sont autant d'indices qui font penser qu'on commence à préparer (les Egyptiens) à la disparition de celui qui les dirige depuis vingt-neuf ans». Pour cela, l'opposition n'entend pas rester à l'écart dans la préparation l'après-Moubarak, que ce dernier se retire de la scène pour raison de santé ou qu'il disparaisse. L'opposition toutes tendances confondues a déjà rejeté l'idée d'«héritage» du pouvoir qui circule depuis quelques années avec l'ascension du fils aîné du Raïs, au sein du parti dirigeant, le Parti national démocratique (PND), aux commandes depuis 25 ans, trônant presque sans partage sur le Parlement où il contrôle 340 sièges sur les 454 le constituant. Hormis le mouvement des Frères musulmans qui se pose en principale force d'opposition avec 88 sièges, les autres partis de l'opposition légale traditionnelle ne disposent dans l'institution législative que de miettes, soit 14 sièges, dont 6 pour le parti du néo-Wafd, 2 pour le Rassemblement, 2 pour Al Ghad et 2 pour le mouvement Al Karama. Les quatre de partis coalisés, qui ont planché cette semaine sur un projet de réforme de la constitution, sont tombés à bras raccourcis sur le parti présidentiel, s'engageant à mettre de côté leurs divergences pour parvenir à leurs fins, à savoir démonopoliser le pouvoir, démocratiser le système de façon à permettre à toute personnalité de se porter librement candidate à la présidentielle, et surtout mettre en place les mécanismes idoines pour garantir la transparence et la régularité des élections. Ainsi, aussi bien le président du Rassemblement, Rafaat Saeed, que celui du Front national démocratique, Oussama Al Ghazali Harb, ont appelé à un accord de l'opposition sur une candidature unique pour la présidentielle de 2011 et sur une coordination des différents partis quant aux législatives de l'automne prochain. Or, ces vœux risquent de faire long feu tant que l'article verrou (76) de la loi fondamentale égyptienne, imposé par le parti au pouvoir, est maintenu. Cette disposition, à laquelle il est reproché la confiscation du «droit à la concurrence», exige de tout candidat à la magistrature suprême issu d'un parti politique légal que celui-ci existe au moins depuis quatre ans, de tout prétendant indépendant de recueillir 250 signatures de souscription émanant du Parlement et d'assemblées locales. Or, ces institutions étant sous la coupe du parti au pouvoir, autant dire que la voie reste sans issue pour les indépendants, dont l'ancien directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Mohamed El Baradei, le plus crédible, qui vient d'afficher ses prétentions présidentielles sur insistance et soutien d'une partie de la jeunesse, de personnalités nationales connues et de plusieurs partis d'opposition. Revenu au pays en février dernier, El Baradei, qui a été triomphalement accueilli, s'est vu adouber par une trentaine de responsables politiques et militants d'opposition, lui demandant de chapeauter «une coalition pour le changement politique». Fort de cette sollicitation, celui qu'on qualifie de «sérieux rival» de Moubarak lançait ses premières piques contre le régime en place, affirmant qu'il «risquait de devoir être confronté à un soulèvement populaire s'il n'écoutait pas les appels au changement». Il a jugé «inévitable» le changement en Egypte. «Ce que je cherche à faire, c'est de précéder le point de rupture entre le gouvernement et la population», a-t-il alors indiqué. Agé de 67 ans, l'ancien patron de l'AIEA dispose d'une stature internationale incontestable, et est resté, selon ses partisans, éloigné de la corruption, un mal qui sévit dans les rouages du système politique égyptien. A ses supporters, il a expliqué qu'il ne serait pas candidat à la présidentielle sans des élections libres et sans modification de la constitution dans le sens de l'émergence d'un «équilibre des pouvoirs». Or, le parti du clan Moubarak a senti le danger. Des voix de plus en plus insistantes se sont élevées parmi la clientèle du régime, à commencer par celle du fils du Raïs, pour assurer qu'il n'y aurait pas de révision de la constitution. Le pouvoir soutient même et contre tout bon sens que l'amendement de 2007 visait à «assouplir les conditions fixées aux partis politiques pour présenter des candidats aux élections présidentielles». Ces mêmes voix ont commencé le travail de sape à l'endroit d'El Baradei, le qualifiant d'«étranger» à son propre pays, de «facteur d'instabilité» pour l'Egypte. Récemment, le relais est repris par le Raïs lui-même, qui a déclaré à la veille de son admission à l'hôpital allemand que si El Baradei «voulait se présenter» à la présidentielle, «il n'avait qu'à respecter la constitution» en adhérant à un parti. Il a affirmé pour minimiser la menace que «l'Égypte n'avait pas besoin de héros». D'ailleurs, le quatuor de partis qui ont discuté sur les reformes envisagées et qui, selon les analystes, n'auraient aucune chance d'aboutir, compte tenu de la détermination des tenants du pouvoir à le conserver le plus longtemps possible, n'ont pas adoubé le projet défendu par l'ancien prix Nobel de la paix. Seul l'un d'eux, le Front démocratique, a appelé à associer El Baradei à l'initiative, mais cette suggestion a été immédiatement battue en brèche par les trois autres partis de la coalition. Pour eux, quand bien même initiateur de l'appel à la refonte de la constitution, El Baradei «n'est pas un politique», qu'il «ne connaît rien de la société égyptienne» et qu'il «n'avait rien entrepris de pratique». El Baradei, que le quatuor a devancé dans la revendication de réformes politiques et qui n'a pas été invité à la rencontre, a estimé en guise de réaction que ces partis sont «à la botte du régime». Il n'a pas tort. En effet, le parti présidentiel, et pour casser la dynamique créée par l'ancien responsable de l'AIEA, aurait ces jours-ci proposé à ces partis «des quotas» de sièges au prochain parlement. Cependant, cette tentative de corrompre une partie de la classe politique n'est pas, selon des analystes, la meilleure façon d'annihiler les ambitions d'El Baradei, d'autant que les Frères musulmans, par le biais d'un des leurs, ont fait état d'une «proximité de vues» entre leur mouvement et lui à propos du «changement politique et social». Et c'est cette position entre autres qui motive la campagne d'arrestations et de harcèlement qui touche la confrérie ces derniers temps à travers l'Egypte, sachant que les Frères se présentent en sérieux concurrents du régime, eux qui occupent 20% des sièges du parlement. Il faut dire que les choses sérieuses commencent en Egypte, et quelles que soient les manœuvres et les subterfuges qu'emploieront les tenants du régime pour se perpétuer aux commandes, rien ne sera plus désormais comme avant.