En Egypte, le mouvement des Frères musulmans, interdit d'activités légales depuis 1954 mais toléré, constitue de par son ancrage dans la société pauvre, majoritaire dans ce pays, ces dernières années une véritable menace pour le régime du clan Moubarak. La stratégie du régime envers les Frères consiste donc à déstabiliser leur mouvement en procédant régulièrement à des arrestations ciblées dans ses rangs, toutes les fois que mouvement, très bien organisé, se restructure. C'est ce qui est arrivé cette semaine lorsque la police égyptienne s'est lancée dans une vague d'arrestations touchant principalement les têtes pensantes du mouvement. Parmi les personnalités arrêtées, le numéro deux du mouvement, Mahmoud Ezzat, nommé récemment adjoint du nouveau guide des Frères musulmans, Mohamed Badie. Les analystes relèvent que cette vague d'arrestations dans les rangs de la principale force d'opposition en Egypte, qui intervient à quelque dix mois des élections législatives, vise à intensifier la pression sur les Frères afin de les affaiblir en prévision du prochain rendez-vous électoral décisif. Il faut savoir que les Frères n'ont pas cessé ces dernières années de monter en cadence dans les suffrages, et de 5% des sièges au Parlement, obtenus en 2000, ils ont réussi à améliorer sensiblement leur score, raflant en 2005, 20% des sièges de l'institution législative égyptienne. Ils ont depuis 88 députés sur 454 qui composent l'Assemblée du peuple, contrôlée en majorité par le parti de Moubarak. Une menace permanente Les observateurs soutiennent que si les élections en Egypte se déroulaient dans la transparence et la régularité, et si le régime consent à opérer une réforme politique radicale, légalisant le mouvement islamiste, les Frères balayeront tous les autres partis, y compris celui du clan Moubarak, traînant ces dernières années, de nombreuses casseroles. Cette fois-ci, la police a arrêté treize membres dirigeants de la confrérie, choisis dans diverses régions administratives du pays. Selon l'avocat du mouvement, Me Abdel Moneim Abdel Maksoud, «parmi eux, trois hauts responsables interpellés au Caire : Mahmoud Ezzat, adjoint du guide des Frères musulmans égyptiens, ainsi que Essam Erian et Abdel Rahman El Berr». Il est reproché simplement à ces dirigeants tolérés leur «appartenance à une organisation illégale». Ces interpellations interviennent deux semaines après la désignation d'un nouveau guide de la confrérie, Mohamed Badie, considéré comme un modéré, mais qui entend recentrer plus le mouvement dans l'activité politique, contrairement à son prédécesseur, le très conservateur Mehdi Akef, qui privilégiait la prédication au sein de la société pour ne pas susciter la méfiance des autorités. Or cela n'a pas empêché les autorités à infliger des misères au mouvement, puisqu'en 2009, on a dénombré quelque 6000 arrestations parmi ses militants. La dernière vague remonte à octobre 2009, lorsque 20 membres de la confrérie avaient été interpellés à Mansoura, dans le delta du Nil, et en décembre dix cadres du mouvement avaient été arrêtés dans la province de Kafr El Cheikh, dans la même région, suite aux inondations qui ont frappé cette localité pauvre et qui ont donné lieu à un scandale financier. Des mesures contre-productives Les dirigeants locaux issus du parti présidentiel auraient détourné l'argent destiné à secourir les sinistrés à leur profit, suscitant manifestations et mécontentements sociaux. En tentant de déstabiliser l'état-major de la confrérie, le pouvoir égyptien voudrait l'affaiblir en prévision des échéances électorales importantes à venir, comme le renouvellement partiel de la Choura en avril, les législatives à l'automne et la présidentielle en 2011, jugent les analystes. Même en empêchant les Frères de se porter candidats aux élections sous la bannière de leur mouvement interdit, ils le font sous l'étiquette indépendante. C'est ce qu'ils ont toujours fait. Avec ces arrestations, qui donnent lieu à des condamnations par la justice, le pouvoir voudrait couper l'herbe sous le pied des cadres dirigeants qui n'auront plus le droit de briguer les suffrages. Or cette tactique n'est pas payante. Les Frères ont toujours eu un réservoir de cadres en perpétuelle reconstitution, ce qui leur permet de pourvoir facilement aux défaillances obligées de candidature. De plus, au lieu d'affaiblir la confrérie, ces arrestations jugées arbitraires par la société renforcent leur aura auprès d'un électorat pauvre, sans perspectives et surtout armé de religiosité cimentée par les prêches politisés et parfois enflammés des imams proches de la confrérie. En devenant à la mi-janvier le 8e guide de la confrérie, Badie ne donnait pourtant pas l'apparence d'un radical pour tempérer les soupçons du pouvoir central. «Nous croyons à la réforme progressive par des moyens pacifiques et constitutionnels, nous refusons la violence», a-t-il alors assuré. Or ces propos n'ont servi à rien. Le pouvoir a saisi l'opportunité d'une tentative d'attentat, fin janvier, contre des pèlerins israéliens pour charger le mouvement sans l'accuser nommément. Il faut rappeler que vingt-cinq islamistes égyptiens, soupçonnés d'appartenir à un groupe islamiste extrémiste et d'avoir projeté un attentat contre des pèlerins juifs en Egypte, ont été arrêtés dans le delta du Nil. Le glaive du pharaon Sur ces personnes, les enquêteurs ont découvert des explosifs et des têtes de roquettes artisanales, destinés selon un responsable de la police à «perpétrer un attentat contre la tombe d'un rabbin du 19e siècle, qui attire des centaines de pèlerins israéliens chaque année». L'attentat manqué devait coïncider avec le pèlerinage de janvier 2010, «puisque cette année, l'Egypte a autorisé des pèlerins à visiter la tombe du rabbin marocain Yaacov Abou Hatzira, près de Damanhour, dans le delta du Nil». Il s'agit du 4e groupe soupçonné d'avoir planifié des attentats en Egypte à être arrêté en un an, selon les services de sécurité. Tout le monde connaît l'opposition radicale des Frères musulmans égyptiens par rapport aux relations diplomatiques entretenues par le régime Moubarak avec Israël. Tout le monde sait également le soutien apporté par les Frères aux Palestiniens de Ghaza que le régime égyptien veut enfermer dans une immense prison en construisant une muraille métallique le long de la frontière et aussi en contrôlant la frontière maritime avec ce territoire pour soi-disant empêcher la contrebande d'armes. Les Frères ont des atouts à faire valoir pour capter les voix des électeurs plusieurs fois déçus par les dirigeants actuels du pays. Il a fallu que les Frères fassent état de leur intention de prendre part aux élections d'avril pour que s'abatte sur eux le glaive du «pharaon» du moment. Selon le porte-parole du groupe parlementaire des Frères, le député Hamdi Hassan, «le régime veut entraver la participation des Frères aux scrutins (de la Choura et de l'Assemblée), surtout depuis que nous avons annoncé que nous envisagions de participer aux élections de la Choura». Pour lui, «ces arrestations font partie de la stratégie du régime vis-à-vis des Frères consistant à leur asséner des frappes partielles pour les affaiblir, sans entrer dans une confrontation totale». D'autant que les candidats de la confrérie, véritables tribuns, ne font pas dans les demi-mesures lorsqu'ils critiquent le régime en place. Le soutien affiché des Américains Ils dénoncent ainsi la corruption qui gangrène les hautes sphères de l'Etat, le favoritisme, la paupérisation de la société livrée à elle-même, pendant que la classe dirigeante accumule les fortunes indues. Ils dénoncent les détournements des deniers publics par des dirigeants locaux sans scrupules et dans l'impunité. Ils ont même dénoncé l'utilisation par le clan Moubarak de l'équipe nationale de football pour endormir le peuple et s'éterniser aux affaires. Il faut rappeler que les Frères ne sont pas dans le collimateur des Etats-Unis, parrains du régime égyptien. On se souvient que lors de son discours du Caire en juin 2009, Obama avait émis le vœu que soient invités à son show des représentants de la confrérie. Cela n'avait pas plu aux dirigeants égyptiens. Or cette sortie d'Obama a encouragé les dirigeants islamistes à exiger davantage de démocratisation de la vie politique en Egypte, même si les Frères n'ont pas les dirigeants américains dans leur cœur. Moubarak joue sur la division du mouvement pour se maintenir au pouvoir. Aujourd'hui, cette stratégie risque de se retourner contre son clan. Les désillusions sociales sont tellement criantes qu'une tempête peut sans crier gare frapper et emporter avec elle un régime policier sans ancrage populaire.