Le parti au pouvoir du président égyptien, Hosni Moubarak, a certes conservé une écrasante majorité au Parlement à l'issue d'élections parlementaires marquées par la violence. Mais il paie un prix lourd. La confrérie des Frères musulmans, qui a multiplié par six le nombre de ses candidats au Parlement, lorgne d'ores et déjà les prochaines échéances électorales, notamment les législatives de 2010, et, pourquoi pas, les présidentielles de 2011. Le Parti national démocrate (PND) a perdu beaucoup de terrain et un sens de la direction face à la poussée de fièvre des Frères musulmans. Les analystes au Caire estiment que le PND est le premier responsable du « pourrissement » du processus politique en Egypte. « L'achat de votes, le recours aux voyous pour intimider les votants, les slogans et un programme politique ambigu, ainsi qu'un appareil de l'Etat qui n'existe que pour servir les candidats du PND ont contribué à la création de cet état de déliquescence politique », commente à cet égard Baha Eddine Hasan, président du Centre des études des droits de l'homme du Caire, dans les colonnes du journal hebdomadaire Al Ahram Weekly. Selon lui, le recours à la violence par le PND est le dernier d'une série de ce que les observateurs considèrent comme des erreurs fatales qui ont entaché la performance électorale du parti. « Le parti se tire dans les pattes », écrit de son côté le quotidien indépendant Al Masri Al Youm. « Il provoque les électeurs en continuant à faire confiance à des autocrates, en dépit du déficit de crédibilité qu'ils ont vis-à-vis du peuple », note le journal. « Une partie au moins du vote en faveur des Frères musulmans l'a été en signe de protestation contre le PND et ses candidats discrédités. Le PND semble en effet ignorer que plus de 75% des votants ont boycotté les élections. Et ce chiffre aurait pu être plus élevé si le parti au pouvoir n'avait pas acheté des votes de manière massive », ajoute le journal. « Les électeurs ont envoyé des messages clairs au PND », observe de son côté Nadir Ferjani, auteur de Arab Human Development Report dans le journal Al Arabi, du parti nasserite. « Quand le taux de participation à des élections parlementaires n'excède pas les 10-15%, le message est clair. Le parti est complètement détaché du peuple. » « Les gens ont tout simplement perdu confiance en le PND, qui, pendant plus de 30 ans, a monopolisé le pouvoir, verrouillé le champ politique, réduit les partis d'opposition de gauche à néant et permis ainsi à la confrérie des Frères musulmans, grâce à l'utilisation des dizaines de milliers de mosquées et des organisations de charité et sociales qu'ils contrôlent à travers le pays, de devenir la principale force d'opposition de l'Egypte », commente pour sa part le journal d'opposition Al Wafd, du parti libéral Al Wafd. Les analystes estiment que le pouvoir a délibérément favorisé l'émergence des Frères musulmans afin de faire valoir devant les Américains que les réformes démocratiques qu'ils prônent au Moyen-Orient n'auront comme effet que de renforcer la position des islamistes dans la région. « Le gouvernement nous utilise pour faire peur aux chrétiens coptes, à la gauche et à l'Occident. C'est une politique connue qu'ils utilisent sous des formes différentes », indique à ce propos Khirat Chatar, un des architectes du programme politique de la confrérie des Frères musulmans. Abondant dans son sens, Al Wafd écrit que le gouvernement « veut que les Frères musulmans deviennent la seule force d'opposition afin de mettre en exergue la modération du PND ». Et de remarquer : « Le gouvernement a créé une situation où la seule alternative au président Moubarak est l'alternative islamiste. » Mais celui qui résume mieux la situation est Rifaât Saïd, président du parti de gauche Tajammou, jadis puissant et influent, mais qui a perdu de sa verve et de sa notoriété. « Le gouvernement a voulu faire peur aux partis d'opposition laïcs et aux Etats-Unis en laissant le génie islamiste sortir de sa bouteille. » « Le problème est qu'il semble oublier qu'une fois sorti, le génie ne peut jamais être remis dans sa bouteille », remarque Rifaât.