Mardi dernier, un navire marchand longeait les côtes espagnoles à une trentaine de kilomètres d'Almeria lorsqu'un marin donna l'alerte. Du doigt, il montra à ses camarades venus en courant quatre personnes qui luttaient contre le courant marin pour tenter de rester à proximité du bateau qu'ils avaient aperçu un quart d'heure plus tôt. L'opération de repêchage des quatre naufragés commença. Elle est difficile car la mer est quelque peu démontée. Une heure après, trois sont remontés à bord. Pas le quatrième, malheureusement, auquel les forces ont manqué pour tenir encore quelques minutes. Comment sont-ils arrivés là ? Par quel moyen ? Aux alentours, il n'y a n'a aucune trace du plus petit objet flottant. Le plus jeune des trois rescapés, âgés de 22 à 26 ans, est conscient mais encore en état de choc. L'équipage s'emploie à leur apporter les premiers soins avant l'arrivée, dans l'après-midi, de l'équipe médicale de la Croix-Rouge espagnole, aux côtés des services, une unité de la gendarmerie côtière spécialisée dans la lutte contre l'immigration clandestine. Pour le chef de brigade, il n'y a pas besoin de plus de renseignements sur la nationalité des victimes, ni du point de départ vers l'Espagne. Ce sont des Algériens venus de la région d'Oran. C'est exactement ce que va confirmer le plus jeune des rescapés, plus robuste que ses deux compagnons, en tout cas visiblement en meilleur état, bien que souffrant lui aussi d'une grave hypothermie. Mais ce qu'il apprendra aux secouristes est plus alarmant que le mystère de la présence de quatre jeunes gens ou ce qui allait être des cadavres flottant en haute mer. «La barque a coulé mardi matin, nous étions 14 passagers partis d'Oran, dimanche vers 22h. Les 11 autres n'ont pas voulu quitter la barque au moment du naufrage», raconte-t-il. De tous les passagers, un seul avait un gilet de sauvetage. L'embarcation n'était doté d'aucun instrument de navigation, ce qui explique sa dérive en haute mer. Dans son récit, le jeune homme apprendra aux gendarmes espagnols qu'il avait passé avec ses deux autres compagnons «des heures dans l'eau» avant l'arrivée du navire marchand. La mort, dit-il, «je l'ai vue tout ce temps là. Je la vois encore, elle me hante». Lui et ses deux camarades, dont un est jugé dans un état grave par le médecin secouriste, sont évacués vers l'hôpital d'Almeria. Un avion de reconnaissance en mer et une vedette commencent alors le ratissage du lieu supposé du naufrage. Les recherches sont interrompues en fin de journée d» mercredi sans que soit repéré le moindre corps humain flottant. Pas la moindre trace de l'embarcation ni de ses occupants. Tout juste la preuve matérielle que le drame a bien eut lieu à cet endroit, sinon un peu plus loin en raison du courant marin. Des objets flottants appartenant aux victimes : une assiette en plastic, un jerrican… Les pêcheurs qui fréquentent la zone n'ont rien aperçu sur leur route, eux non plus. Il n'est pas rare, en effet, que des chalutiers repêchent des cadavres d'immigrés clandestins naufragés en haute mer. Cette fois, ce n'est pas le cas. Jeudi soir, les secouristes paraissaient ne plus croire aux chances de retrouver les victimes. Vendredi, les recherches sont abandonnées. La détresse des familles Depuis mardi matin, la nouvelle tragédie s'est répandue telle une traînée de poudre au sein de la communauté algérienne en Espagne. L'ambassade et les services consulaires se sont mis en contact permanent avec les autorités espagnoles depuis l'annonce du drame. D'Oran, les appels de détresse des familles se sont multipliés auprès des amis qui sont déjà sur place. Plus le temps passe, moins de chance il y a de retrouver des survivants. Depuis l'ouverture, en 2006, de la nouvelle route de l'immigration clandestine vers l'Espagne, combien sont-ils ceux qui comme les onze disparus de mardi dernier n'ont jamais pu atteindre la destination européenne ? Personne n'a la moindre idée de leur nombre. Par contre, ils sont quelques centaines depuis le début de cette année à avoir échappé miraculeusement à la tragédie en haute mer. Pas à avoir atteint leur but. Le 22 mars, une embarcation avait pu approcher, de nuit, la côte d'Almeria. Les lumières de la ville sont nettement visibles. A ces lumières se confondaient celles des phares puissants des gardes-côtes espagnols.