Trente ans après les événements qui ont secoué la Kabylie, la quête de réappropriation de l'identité berbère n'est pas près de connaître son épilogue. Le chemin reste long pour la généralisation de l'enseignement de tamazight, quand bien même fut-elle reconnue officiellement langue nationale, et son introduction dans le système judiciaire, notamment, se heurte à d'âpres résistances. Mais force est de reconnaître que, depuis l'agitation née de l'interdiction de la conférence «culturelle» que devait animer feu Mouloud Mammeri à l'université de Tizi Ouzou, la revendication identitaire berbère a réalisé d'immenses acquis que les sociologues devraient un jour mettre en exergue. Le printemps berbère, expression conceptualisant l'enchaînement des événements qui ont agité toute la Kabylie et, en partie, l'université d'Alger, durant l'année 1980-1981, a été le point de départ d'une contestation quasi-permanente contre la négation de l'identité berbère du peuple algérien, sa langue en particulier, dont l'enseignement était frappé d'interdit. Avril 1980 s'interprète, en fait, comme le catalyseur de la lutte pour la reconnaissance et la réhabilitation des composantes identitaires et culturelles nationales menées jusque-là de façon éparse, et souvent dans la clandestinité, par les rares militants acquis à la cause. Le combat sera d'autant plus dur que le principal acteur de la vie politique, le parti unique du FLN, s'opposait à toute velléité pouvant mettre en danger son pouvoir hégémonique sur la société. Cependant, ni la répression qui s'est abattue sur les animateurs du printemps berbère, essentiellement les étudiants kabyles et les militants clandestins du Front des forces socialistes (FFS), du Parti de l'avant-garde socialiste (Pags) et des groupuscules d'extrême gauche trotskystes (ORT, OST, GCR), ni les tentatives de discréditer le mouvement aux yeux de la population n'ont réussi à stopper l'élan émancipateur du printemps berbère. Bien au contraire, le fait même que la revendication ait été portée dans la rue et que l'université ait été impliquée dans le mouvement contestataire, a donné consistance à un débat sérieux sur un ensemble de questions démocratiques qu'on a longtemps éludées, sinon traitées de façon biaisée, au sein de l'université et dans les différents milieux culturels, qui aboutira, des années plus tard, à l'officialisation de tamazight et la mise sur pied d'un Haut Conseil à l'amazighité, outre le lancement récent d'une chaîne de télévision d'expression amazighe. Mais la lutte n'a pas été sans causer ses victimes. La répression sera terrible, les militants les plus représentatifs de la cause identitaire berbère seront traduits devant les tribunaux d'exception (la fameuse cour de sûreté de l'Etat, aujourd'hui dissoute), ils connaîtront les geôles mais aussi et surtout les horribles traitements dans les centres de torture. Le directeur général de la sûreté nationale de l'époque reconnaît que ses hommes ont eu à pratiquer la «question» sur des militants dits berbéristes. Le cauchemar reviendra au printemps 2001. La célébration du 20e anniversaire du printemps berbère, qui se voulait grandiose, finira par mettre la Kabylie entière à feu et à sang. A cause d'un incident inexplicable au sein de la brigade de gendarmerie de Beni Douala – la mort par balle du jeune lycéen Massinissa Guermah –, la région s'est embrasée, et la répression fera près de 126 morts parmi les manifestants civils ainsi que des centaines de blessés. Les troubles se traduiront aussi par la destruction de dizaines d'édifices publics, de sièges de gendarmerie ainsi que le départ de ce corps de la plupart des villes de la région. La vérité éclatera un jour, peut-être, qui expliquera les attendus des dérapages qui ont failli conduire à l'irréparable. Mais ceci est une autre histoire dans la longue quête identitaire de l'Algérie.