Dans cet entretien, Abdelmalek Sellal revient sur les principales réalisations dans son secteur, le nouveau programme qui consiste à réaliser 19 nouveaux barrages d'ici 2014, la compétence des entreprises nationales désormais prioritaires dans le domaine hydraulique , le nouveau concept de géothermie que l'Algérie envisage d'adopter notamment sur l'axe El Oued-Biskra et le mégaprojet du transfert In Salah-Tamanrasset considéré comme le plus important projet lancé dans le secteur depuis l'Indépendance. Abdelmalek Sellal, chargé de la gestion et du suivi du développement de ce secteur, a relevé le défi pour que l'Algérie n'ait plus soif. Le Temps d'Algérie : le secteur de l'eau a fait l'objet de plusieurs réformes depuis 1999. Qu'en est-il au juste ? Abdelmalek Sellal : il est vrai que le secteur des ressources en eau a connu en l'espace d'une décennie, de profondes mutations sur le plan institutionnel. L'érection dès l'an 2000 d'un ministère dédié afin de mieux prendre en charge la problématique de l'eau en Algérie, en fut le point de départ. S'en est suivie la promulgation en août 2005 de la loi relative à l'eau pour asseoir un cadre législatif dynamique de la gestion de l'eau en Algérie. Afin d'aboutir à plus de rationalité et d'unicité dans la gestion du cycle de l'eau, des établissements publics à caractère industriel et commercial ont été créés. Il s'agit de l'Algérienne des eaux, de l'Agence nationale des barrages et transferts, de l'Office national de l'assainissement et de l'Office national de l'irrigation et drainage. Dans le même ordre d'idée, les activités et les moyens des ex-Epdema ainsi que ceux des régies et services communaux ont été transférés vers l'ADE et l'ONA. Il est également important de noter la création des agences de bassins hydrographiques dont le but est d'aboutir à une meilleure gouvernance de nos ressources hydriques dans le cadre d'une gestion intégrée par région hydrographique. Enfin, l'adoption du schéma directeur de l'eau, en février 2007, a doté notre secteur d'un outil de planification souple net efficace jusqu'à l'horizon 2025. Plusieurs chantiers sont ouverts dans le secteur, quels sont les plus importants en cours de réalisation ? Les principaux projets du secteur des ressources en eau actuellement en chantier sont : le système Béni Haroun (phase 2) qui consiste en la connexion du barrage réservoir de Oued Athmania avec les retenues de Ourkis (Oum El Bouagui) et Koudiat Meddaouar (Batna). Le transfert des hautes plaines sétifiennes consistant en l'interconnexion de deux barrages en exploitation (Erraguène et Ighil Emda) avec trois nouveaux ouvrages à réaliser (Tabellout, Draâ Diss et Mehouane) et ce pour le renforcement de l'alimentation en eau potable dans la région et pour le développement agricole. Le système de transfert Mostaganem-Arzew-Oran qui se termine, le système de transfert des eaux de Chott El Gherbi et le transfert In Salah-Tamanrasset pour le renforcement de l'alimentation en eau potable de la ville de Tamanrasset et du centre de vie sur le couloir de transfert. Justement, le mégaprojet de transfert In Salah-Tamanrasset a engendré des coûts supplémentaires. Il serait actuellement à 190 milliards de dinars. Plus de détails sur cette opération ? L'alimentation en eau potable pour la ville de Tamanrasset ainsi que du couloir d'adduction à partir des champs captants situés à In Salah est sans nul doute l'un des projets les plus importants lancés par le secteur des ressources en eau depuis l'indépendance du pays. Il s'agit en effet de sécuriser de façon pérenne l'approvisionnement en eau potable d'une population de plus d'un demi-million d'habitants à l'horizon 2025. Avec une dotation quotidienne de 100 000 mètres cubes. C'est là une décision de M. le président de la République visant à assurer un développement équitable et harmonieux sur l'ensemble du territoire national. L'eau puisée dans un champ de forage situé à 70 km au nord de In Salah est traitée puis pompée dans une conduite double de 750 km dans l'extrême sud algérien avec toutes les contraintes climatiques et reliefs que vous pouvez imaginer. Nous suivons de près et de façon périodique l'évolution des différents segments de ce projet qui doit être réceptionné la fin de l'année 2010 s'il n'y pas de problèmes techniques. L'Etat a consacré une enveloppe financière de 190 milliards de dinars à ce projet et aucune réévaluation financière n'a été enregistrée sur cette opération dont par ailleurs les impacts socio-économiques se font sentir avant même la mise en service. En effet et à titre d'exemple, les entreprises en charge de la réalisation ont recruté localement les travailleurs dont elles avaient besoin (plus de 2000 jeunes ont été embauchés). Les services du secteur des technologies de l'information et de la communication utilisent notre conduite de transfert pour procéder au raccordement en fibre optique de la ville de Tamanrasset. Par ailleurs, pas moins de six centres de vie dotés en énergie et en eau ont également été créés sur le tracé du projet et ce, afin de créer les conditions de vie et de sécurité le long de la transsaharienne. L'Algérie s'est dotée de moyens colossaux pour renforcer ces potentialités hydriques. Sommes-nous en mesure de capter 40% des eaux pluviales ? A l'indépendance, l'Algérie disposait d'un parc d'une dizaine de barrages de moyenne capacité. En 2000, c'est-à-dire en 38 ans, nous avons 30 barrages totalisant une capacité de mobilisation de l'ordre de 2,2 milliards de mètres cubes. Depuis cette date et particulièrement à partir de 2004, 20 nouveaux ouvrages ont été mis en eau. Avec 65 barrages en exploitation, notre pays a, en un temps record pratiquement doublé sa cadence de réalisation ainsi que ses capacités de mobilisation des ressources superficielles. Sur la base des projets en cours et du programme de développement du secteur, l'Algérie disposera d'un nombre important de barrages faisant passer la capacité de mobilisation à 9,1 milliards de mètres cubes. Les potentialités hydriques nationales sont estimées à 17 milliards de mètres cubes par an (précipitations et ressources souterraines confondues). Avec la capacité actuelle de stockage des eaux superficielles, l'Algérie est déjà en mesure de capter 40% de son potentiel hydrique annuel. Nous estimons également pouvoir atteindre les 53% d'ici 2015. Vous avez annoncé la réalisation de 19 barrages d'ici 2014 et les entreprises algériennes seront désormais prioritaires pour la réalisation de ces barrages. S'agit-il d'un savoir-faire acquis dans le domaine ou d'une exécution d'une directive du Premier ministre visant à encourager les entreprises nationales ? La démarche actuelle du gouvernement vise en effet la promotion de l'outil national de production. Des mesures sur les plans règlementaire et financier sont prises à cet effet. Les opérateurs nationaux qu'ils soient publics ou privés, ont toujours eu les portes ouvertes au niveau du secteur des ressources en eau. Des projets importants leur ont été et leur sont actuellement confiés. En sus des dispositions préférentielles que leur octroie la réglementation relative aux marchés publics, nous veillons, dans le respect des lois en vigueur et des principes de concurrence loyale, à ce que les opérateurs nationaux prennent en charge la réalisation d'une partie substantielle des opérations inscrites à l'indicatif de notre secteur. Nous notons avec satisfaction qu'un nombre considérale d'entreprises nationales ont accumulé un savoir-faire et une expérience non négligeable en matière de réalisation d'infrastructures hydrauliques. Par ailleurs, nous encourageons les opérateurs nationaux à s'associer dans le cadre de groupements avec des entreprises étrangères de renom afin que le transfert de savoir-faire puisse se faire en parallèle avec la mise en œuvre de notre programme d'investissement. J'ajouterai enfin qu'il n'est pas question pour nous de baisser le niveau d'exigence technique dans la réalisation des différents projets du secteur. Au contraire, nous ambitionnons de hisser l'entreprise algérienne aux normes internationales de compétences et de qualification dans le domaine de l'hydraulique. Notre programme de développement est réalisé avec l'argent public. Il s'agit de le gérer avec parcimonie et d'en maximiser le rendement et l'impact sur les différents usagers de l'eau en Algérie.
Quelle contribution apportera votre secteur au développement de l'agriculture ? Notre pays compte aujourd'hui 219 000 hectares en grands périmètres irrigués, 914 000 hectares en petite et moyenne hydraulique ainsi qu'un parc de retenues collinaires composé de 407 unités. En collaboration avec le département de l'agriculture et du développement rural, une action globale de développement de l'agriculture irriguée est menée notamment dans la région des Hauts Plateaux en y intégrant les volets des techniques d'irrigation économisatrices d'eau et la réutilisation des eaux usées épurées. Les objectifs que le secteur s'est fixés en matière hydraulique agricole sont d'atteindre les chiffres de 270 000 hectares en grands périmètres irrigués, 1,2 million d'hectares en petite et moyenne hydraulique ainsi que 581 retenues collinaires. Le développement du dessalement de l'eau de mer, par des volumes appréciables d'eau qu'il fournira, permettra de sécuriser l'alimentation en eau potable des grandes villes du littoral et de réaffecter la ressource de certains barrages vers les zones déficitaires et notamment les régions des Hauts Plateaux. Le transfert des eaux du Sahara septentrional vers le nord du pays et dont les études d'avant-projets détaillés sont en cours, mettra également à disposition des quantités additionnelles d'eau à usages agricole et domestique. D'où le nouveau concept de géothermie ? La géothermie et ses différentes applications dans les domaines du chauffage domestique, piscicole et agricole ainsi que la production énergétique constituent une technologie à fort potentiel de progression. L'électricité produite à partir de la géothermie est disponible dans plus de 20 pays dans le monde. Le chauffage des serres agricoles constitue le domaine le plus répandu de l'énergie géothermique en agriculture. Notre voisin, la Tunisie, s'est lancé dans l'expérience avec des résultats encourageants et nous comptons la développer en Algérie notamment sur l'axe El Oued-Biskra. Nous demeurons attentifs à l'évolution technologique dans ce domaine et nous envisageons dans le cadre d'une action concrète avec le secteur de l'agriculture et de l'énergie de promouvoir ces techniques dans notre pays. En Algérie, la ration par habitant et par an est de 600 mètres cubes ; peut-on dépasser ce chiffre dans un avenir proche ? Le ratio par habitant d'un pays est obtenu en divisant les potentialités hydriques annuelles (superficielles et souterraines) par le nombre d'habitants. C'est donc un paramètre constant par définition et dont l'évolution n'est conditionné que par l'évolution démographique. C'est là une notion distincte de la dotation moyenne en eau potable. Cette dernière qui se situe dans notre pays à 168 litres par jour (ce qui dépasse de loin les objectifs de développement du millénaire fixés par l'Organisation des Nations unies) est en effet évolutive et dépend des capacités de chaque pays en matière d'infrastructures de traitement d'eau en adduction. Notre objectif à ce titre est de faire progresser la dotation par habitant pour atteindre 180 avant 2015. L'eau dans notre pays est rare et inégalement répartie, mais notre pays a fait des efforts énormes pour compenser ce déficit hydrique par, entre autres, la mobilisation des eaux non-conventionnelles (dessalement de l'eau de mer et eaux usées épurées). Un dernier mot pour les citoyens ? Nos concitoyens doivent, pour leur bien et celui des générations futures, intégrer le fait que la rareté de l'eau n'est et ne sera plus un phénomène conjoncturel ou ponctuel, mais une donnée constante des prochaines années. Ils doivent également savoir que le cycle de l'eau est onéreux et que donc les pratiques de gaspillage et de pollution sont à bannir au profit d'une démarche de l'économie de l'eau solidaire et responsable.