Le 27 avril dernier, la wilaya a relogé 402 familles occupant auparavant les chalets des Ondines dans la commune de Bordj El Bahri. Une partie de ces familles a été transférée vers la nouvelle cité des 568 logements de Baraki. L'opération a été suivie de plusieurs recours introduits par les familles nombreuses qui s'étaient vu affecter des F2. Elles exigent un vrai recensement puisque des familles moins nombreuses ont bénéficié d'appartements de type F3. Depuis qu'ils ont troqué leur chalet pour un toit en dur à la cité des 568 logements, dans la localité de Haouch El Mouhoub (Baraki), le jeune père Nacereddine Bencherif et sa famille sont devenus l'objet de curiosité de leurs voisins du bâtiment n°18. La curiosité du voisinage est toute fondée, voire sincère : il s'agit pour eux de voir de très près comment sept personnes, départagées en deux familles, vivent dans un seul appartement de type F2. Le cas n'a rien de mystérieux. Nacereddine, sa femme et son nouveau-né occupent une chambre ; ses parents, l'autre chambre-salon. Reste qu'il faut trouver où dormir à deux autres membres de la famille, une fille et un garçon. Par rapport à la famille Laadjel, les Bencherif sont toutefois mieux lotis. En fait, Slimane Laadjel, sa femme et ses sept enfants occupent eux aussi un appartement de type F2 au troisième étage du bâtiment n° 21. Ils sont donc neuf à vivre dans deux chambres et une cuisine. C'est le comble de l'exiguïté ! Les Bencherif et les Laadjel, qui sont loin d'être des cas isolés, font partie des 402 familles des chalets des Ondines, commune de Bordj El Bahri, qui ont été relogées par la wilaya, le 27 avril dernier, «dans le cadre de l'éradication de l'habitat précaire». Au bout de sept longues années passées dans les chalets, dans des conditions parfois éprouvantes, c'est l'indépendance ! Nacereddine se souvient des derniers moments avant le déménagement. «On m'a appelé vers midi pour me dire qu'il faut se préparer au déménagement. Nous avons fait sortir toutes nos affaires, attendant un camion qui devait nous transporter vers un endroit inconnu. Nous avons passé la nuit à la belle étoile sans savoir où nous irons exactement», se rappelle-t-il. Slimane Laadjel se souvient beaucoup plus de l'angoisse des derniers moments. Il dit : «On nous a ramené ici sans que nous sachions auparavant où nous allons résider. Une fois arrivés sur site, les agents de l'OPGI de Dar El Beida nous remettent les clefs des appartements. Sur les clefs, seuls les numéros du bâtiment et de l'étage sont mentionnés.» Pour lui, c'est à partir de là que le supplice a commencé. «J'étais pris d'angoisse avant même de me diriger vers l'appartement, car je ne savais pas à quoi m'attendre surtout que les agents de l'OPGI se refusaient à dire quoi que ce soit à ce sujet. J'avais peur de me voir affecter un F2 alors que nous sommes neuf dans la famille. Finalement, ma peur était justifiée. J'étais totalement abattu quand j'ai franchi la porte de la maison», témoigne-t-il. «Nous demandons un vrai recensement» A travers l'opération de recasement des habitants occupant les chalets des Ondines, la wilaya «a tiré dans le tas !» C'est en tout cas le sentiment que partagent les citoyens transférés à cette occasion vers la cité des 568 logements de Baraki. Le recensement des familles, réalisé avec le recasement, est l'objet de toutes les critiques. «C'était pas sérieux. Les personnes chargées du recensement ont bâclé leur travail. Au lieu de s'adresser directement aux familles dans leurs chalets, elles ont interrogé des enfants rencontrés sur site. Cela a ouvert les portes à toutes les dérives», signale-t-on. Les conséquences sont là. Nacereddine est marié depuis l'été 2007. Il a maintenant un enfant. Malgré cela, les résultats du recensement effectué ne mentionnent aucunement qu'il s'était marié ou qu'il est père de famille. «Les chargés de l'opération étaient venus dans les chalets. Ils ont interrogé un garçon de la famille à l'extérieur. Ils lui ont dit : 'Vous êtes combien à la maison ?' Il a répondu : 'Sept'. Et ils ont noté 'sept' sans chercher à comprendre», affirme Nacereddine. C'est pour cette raison que la famille Bencherif a introduit, juste après le relogement, un recours auprès des services de la wilaya déléguée de Hussein Dey et de l'OPGI de Dar El Beida. Dans son recours, elle s'étonne qu'on lui octroie uniquement un F2 et demande, soit l'affectation d'un autre logement de type F3 soit le transfert de l'une des deux familles vers un autre appartement. Quand à Slimane Laadjel, l'erreur a été flagrante. «Quand j'ai cherché à comprendre ce qui s'est réellement passé, on m'a expliqué à la daïra que selon le recensement, j'ai uniquement deux enfants et non sept !», affirme M. Laadjel. Reconnaissant les faits, les autorités lui ont promis une solution dans les meilleurs délais. C'est cette solution qui tarde à venir. «Le wali délégué en personne m'a déclaré qu'il allait régler mon cas même s'il lui fallait arracher le logement de sa chair. A ce jour, je ne vois rien venir», regrette-t-il. «Ne voyant rien venir», M. Laadjel a pris l'initiative d'occuper un autre logement F3 dans la même cité et qui était encore inoccupé. Il a été aussitôt chassé de l'appartement par la gendarmerie. Suite à quoi, les autorités ont reformulé leur disponibilité à étudier son recours. «Je ne sais plus quoi faire. J'ai une famille nombreuse, mon fils est fiancé et il doit bientôt se marier. En attendant, nous sommes obligés de vivre dans un logement de deux pièces. Moi, je dors dans la cuisine, ce n'est pas du tout normal !», s'emporte-t-il. Sentiment de «hogra !» De loin, la cité des 568 logements donne l'image d'un beau quartier. Les bâtiments sont bien aménagés, les escaliers et les couloirs sont parés de marbre. Les espaces verts et les aires de jeux existent dans plusieurs coins au grand bonheur des enfants. Le cadre de vie s'est nettement amélioré surtout après l'évacuation et l'éradication, par la force, du bidonville mitoyen. Les occupants, plus de 50 familles, y ont été chassés sans ménagement, le 11 mai dernier. De près, c'est une image nuancée qui se révèle. Les réseaux d'assainissement intérieur des bâtiments sont défectueux. Des fuites sont constatées dans les canalisations à chaque étage, dans plusieurs bâtiments, ce qui a surpris plus d'un, sachant que les constructions sont récentes. Au fil des jours, ce désa-grément est devenu un objet de plaisanterie. «T'as pris une douche, ce matin ?», lance-t-on dans un rire sarcastique. En réalité, chaque fois que quelqu'un entre aux toilettes, dans n'importe quel appartement, il est aussitôt aspergé d'égout venant de l'étage supérieur. En plus des fuites d'égouts, les familles font face à l'absence du gaz de ville dans les foyers. Elles continuent d'utiliser le gaz butane. L'installation existe, mais personne ne connaît au juste les raisons qui ont fait que les habitants ne sont toujours alimentés en gaz. Pourtant, en octobre 2009, à l'occasion d'une plénière de l'Assemblée populaire de wilaya, le secrétaire général de la wilaya a promis de ne plus livrer aucune cité avant qu'elle ne soit alimentée en électricité, en eau potable et en gaz de ville. Malgré ces désagréments, c'est le sentiment de «hogra» qui hante le plus les résidents qui sont à leur troisième semaine sur les lieux. A Haouch El Mouhoub, les nouveaux habitants passent en fait leur temps à s'interroger sur cette politique des deux poids, deux mesures. Le séjour des familles nombreuses dans des F2 est devenu insupportable depuis que les gens commencent à parler d'une catégorie spéciale de postulants. Leurs noms, prénoms et adresses sont connus de tous puisque des familles entières se connaissent ici pour avoir habité le même quartier auparavant. Les personnes pointées du doigt, dit-on, sont notamment les nouveaux couples ou les personnes vivant seules qui se sont vu affecter des appartements de type F3 ! Les insatisfaits ont beau rappeler la décision du président de la République, qui a ordonné, en 2007, d'arrêter de construire des F2. Pour eux, cette formule est un handicap : elle rappelle aux familles la nécessité de trouver un autre toit, ce qui n'est pas évident dans le contexte actuel. Pour tirer les choses au clair, ils répètent : «Nous demandons un vrai recensement».