On ne sait pas si «Kahouet Echoumara», littéralement, «le café des chômeurs» existe toujours à Hassi Messaoud, mais ceux qui ont vécu dans cette ville ou simplement séjourné pour une raison ou pour une autre doivent s'en souvenir. L'éclatement de cette cité pétrolière a dû venir à bout de ce bouge des laissés-pour-compte au pays de la prospérité, mais il se peut aussi qu'il l'ait seulement «rénové» pour ne pas rester en reste du développement, à moins qu'il en ait fait des petits à d'autres endroits pour répondre à l'inflation de la «demande». Parce que pour une ville appelée à disparaître en raison des périls qu'elle couve dans son ventre, Hassi Messaoud a grandi depuis l'inauguration de Kahouet Echoumara. Et continue de grandir à mesure que grandit la détresse de ceux qui sont laissés sur le gigantesque carreau du «grenier» de l'Algérie, réel celui-là, contrairement à celui de la légende. Le café des chômeurs, donc, était un passage obligé pour tous ceux jeunes et moins jeunes, qui venaient tenter leur chance dans cet Eldorado dont on disait, à tort ou à raison, qu'une fois qu'il vous a tendu la main, vous êtes définitivement sorti de la gadoue. Des contrées les plus lointaines du pays ou d'à côté, ils arrivaient. Certains d'entre eux avaient des promesses de recrutement de vagues connaissances «bien placées». D'autres avaient des recommandations. Mais les plus nombreux tentaient l'aventure du désespoir. Pourquoi pas. Même en dormant sur une dune ou une chaise, on peut très bien se réveiller sous sa bonne étoile. Dieu est grand et Hassi Messaoud grandit. Il n'y a qu'à voir les torches qui décuplent l'horizon pour se donner des raisons d'espérer. Au bout de quelques semaines ou mois de patience et de privations, on finit par avoir quelque chose qui se rapproche du rêve, revoir ses ambitions à la baisse en acceptant n'importe quoi, repartir désillusionné, ou pire, tomber dans la déchéance. «Le temps a passé, les enfants ont grandi», comme disait Anne Philippe. Une autre génération vient maintenant hanter d'autres cafés des chômeurs ou leur version faïencée. Les chômeurs ont tous le même visage. Sauf que maintenant, ils viennent chercher les recruteurs comme les junkies en manque cherchent un providentiel dealer. Il faut négocier le contrat comme on demande le prix de la dose. Six mois d'engagement renouvelables contre la moitié du salaire à verser cash. Six mois renouvelables rarement renouvelés et de nouveau la galère. Alors forcément on revient. En quête d'un autre dealer qu'il ne faut surtout pas «énerver» en se la jouant perspicace. Et motus. En remettant la liasse, il faut regarder les torches à l'horizon. Vos yeux, même manquant de sommeil, ne peuvent pas les rater, elles sont trop nombreuses. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir