Le problème posé par la gestion et la réhabilitation du vieux bâti se pose à l'échelle nationale. Toutes les agglomérations urbaines, tous les villages, hameaux et fermes hérités de la colonisation sont concernés par ce phénomène qui concerne près de 2 millions de logements. La préservation du vieux bâti, si tant est qu'il existe une politique dans ce sens, implique en priorité la participation financière des propriétaires. «Une vieille maison, non fonctionnelle, qui menace ruine, qui représente un danger pour ses occupants et le voisinage, est une maison qui doit être logiquement démolie», explique M. Naït Saâda, inspecteur général du ministère de l'habitat, qui remet en cause la «sacralisation» que l'on se fait souvent du vieux bâti et, surtout, la naïveté de l'approche qu'ont certains Algériens sur la question. «C'est une affaire complexe car elle concerne près de 1,8 million de bâtisses, construites à différentes périodes avant l'indépendance du pays, qui présentent des signes inquiétants de vieillissement», relève M. Naït Saâda. Mais, poursuit-il, «il faut s'entendre sur la signification du concept : c'est quoi le vieux bâti ? C'est quoi une vieille bâtisse ? Est-ce parce que des constructions sont vieilles qu'on est dans l'obligation de les restaurer ? Pourquoi ne pas les démolir ?» A son sens, les vraies questions à poser sont de savoir «qui doit faire quoi, avec quoi, quand et comment ?». L'inspecteur général dit ne pas admettre certaines confusions entretenues, à tort ou à dessein, sur un problème commun aux villes et aux campagnes. «Si nous devons un jour procéder à la réhabilitation des vieilles constructions, nous le ferons partout et pour tous. C'est une question de principe et d'équité», indique M. Naït Saâda qui précise, toutefois, que l'Etat ne peut prendre en charge seul la réhabilitation du vieux parc immobilier, sachant qu'il est détenu à 100% par les particuliers. «Dans les conditions actuelles, il n'est pas raisonnable que l'Etat remette en état des bâtisses que leurs propriétaires ont décidé de laisser à l'abandon. Sinon, quelle sera la réaction de tous ces citoyens qui logent mal, qui habitent des bidonvilles ou qui n'ont pas de logement du tout ?», insiste-t-il, estimant qu'«il n'est pas concevable de restaurer avec les deniers publics des immeubles privés loués à des avocats, des médecins ou des représentations de grosses entreprises multinationales». Que faire alors devant le danger public que représentent ces dizaines de milliers de bâtisses menaçant, d'un jour à l'autre, de s'écrouler sur leurs occupants et les passants ? Une question de priorité Pour l'inspecteur général du ministère de l'Habitat, il faut au préalable un recensement de ce genre de constructions, une opération qui n'a jamais eu lieu à ce jour, précise-t-il, car elle est subordonnée à une expertise technique et à la mobilisation de moyens financiers considérables. Longue et coûteuse, et quand bien même serait-elle indispensable, sinon pour sauvegarder le cachet architectural de nos cités, du moins sécuriser les occupants, la réhabilitation du vieux bâti n'est pas jugée prioritaire. «Pour l'Etat, ce qui importe le plus, c'est la réalisation de programmes d'habitations neuves pour répondre à ceux qui cherchent un toit», soutient notre interlocuteur. Mais l'écroulement de plusieurs bâtisses dans les principales villes du pays, et les drames qu'ils ont provoqués, ont fini par tirer la sonnette d'alarme sur la nécessité d'apporter des solutions urgentes au problème. Au début des années 1980, le gouvernement engage un programme de réhabilitation du vieux bâti de 7 grandes agglomérations (Annaba, Skikda, Constantine, Blida, Oran et Sidi Bel Abbès) où le vieillissement du tissu urbain se fait préoccupant. Des infrastructures obsolètes situées en milieu urbain (les halles d'Alger, la remonte de Blida ou le quartier des écuries de Skikda) sont rasées, des usines, hangars entrepôts, les caves et autres constructions industrielles sont délocalisées, et les terrains ainsi récupérés vont servir à la construction de milliers de logements pour abriter en priorité les familles occupant le vieux bâti. Différemment appréciée, mal assumée, l'opération a toutefois suscité beaucoup d'espoirs quant à la résolution rapide d'un problème qui ne fait que s'aggraver. La crise pétrolière de 1985-1986 et la chute drastique des rentrées en devises du pays ont fini par tout dissiper. Il faut attendre l'embellie financière des années 2000 pour que la question refasse l'actualité, notamment après l'effondrement de plusieurs bâtisses à Alger, Oran, Constantine et Skikda. Le séisme de 2003 révélera la fragilité extrême des vieilles villes, d'où le lancement d'une opération de diagnostic de près de 195 000 logements concentrés pour l'essentiel dans les centres-villes d'Alger, Oran, Constantine et Annaba. «Les instruments font défaut» Au ministère de l'Habitat, on ne fait pas secret de la difficulté de cette entreprise. Selon M. Naït Saâda, le diagnostic des vieilles constructions implique nécessairement l'intervention de bureaux d'études et d'entreprises spécialisés. Ces deux instruments font actuellement défaut, dit-il, expliquant qu'il faut penser dès à présent à la formation d'ingénieurs spécialisés dans les techniques de restauration et de réhabilitation et à encourager la création d'entreprises spécialisées dans ce créneau. «C'est en déterminant les conditions de stabilité des vieilles constructions que l'on peut par la suite élaborer des études techniques pour leur confortement ou, à défaut, de leur démolition», indique l'inspecteur général du ministère de l'Habitat pour qui un programme national de réhabilitation du vieux bâti est inconcevable sans la participation des propriétaires et de l'Etat. «Il faut mettre en place des mécanismes de prise en charge du vieux bâti définissant clairement les modalités d'attribution de l'aide de l'Etat, la quote-part à payer par les propriétaires, et le rôle des banques dans le financement de l'opération». L'autre condition indispensable à la préservation du bâti, celle d'assurer la gestion du patrimoine immobilier national. Cette question pose problème depuis la cession des biens vacants, notamment au niveau des immeubles collectifs. Aux yeux de l'inspecteur général du ministère, il est clair que «l'entretien, la maintenance et la réhabilitation du bâti, qui sont des opérations permanentes, relèvent de la responsabilité des propriétaires». Autrement dit, les propriétaires doivent s'organiser pour assurer la gestion de leurs biens, soit à travers la constitution de syndics d'immeubles, le recrutement de concierges ou la délégation de la gestion à des entreprises spécialisées. On en est loin pour le moment.