Photo : S. Zoheir Par Amirouche Yazid La question du vieux bâti en Algérie se pose avec acuité. Alger en offre le triste exemple. Les vieilles constructions de la capitale, héritées de la période coloniale -s'étalant notamment d'El Harrach à Bab El Oued en passant par Belouizdad (ex-Belcourt], Hussein Dey et d'autres communes-, croulent comme des châteaux de cartes. La préoccupation des pouvoirs publics n'est visible qu'après coup. Une préoccupation qui succède aux dégâts. Mais qui ne les anticipe pas. Devant les députés de l'Assemblée populaire nationale, le ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme a déclaré que l'Algérie compte 553 000 logements précaires. Le chiffre représente 8% du parc de logements en Algérie. Comment le gouvernement compte-t-il procéder pour trouver une solution à ce problème ? La question revient telle une rengaine. «L'Etat a pris les mesures nécessaires à même de permettre l'éradication des constructions précaires.» Qu'en est-il vraiment de la restauration du vieux bâti ? De manière générale, il se dégrade à vive allure. Car, à l'exception de quelques opérations de rafistolage, les anciennes bâtisses sont sérieusement menacées. Dans la région du centre de l'Algérie, la menace est plus persistante du fait des répliques telluriques répétitives qui surviennent à longueur d'année. Les pouvoirs publics évoquent des efforts dans ce sens. Ils parlent d'une volonté de prendre en charge cette question. La tutelle note qu'une enveloppe financière conséquente est destinée aussi bien à la réalisation de nouvelles constructions qu'à la restauration du vieux bâti.En termes de répartition géographique, Noureddine Moussa a indiqué que 15% de ces logements sont concentrés dans quatre villes principales : Alger, Annaba, Oran et Constantine. Ces quatre villes comptent environ 85 000 logements précaires qui seraient pris en charge. C'est ce qu'avait promis le premier responsable du secteur il y a plus d'une année. Qu'a-t-il fait depuis ? On vient juste de lancer une opération de restauration de quelques immeubles au niveau de la Grande Poste. Face à l'inexistence de statistiques fiables sur le nombre de constructions effondrées, il ne reste qu'à constater de visu. «Après un abandon qui aura duré plusieurs années, les autorités viennent d'opter pour une solution extrême : la démolition. Pourtant, il y avait la possibilité de préserver ces constructions si l'on avait agi à temps. Mais que peut faire le simple citoyen devant une telle situation ?» témoigne un quinquagénaire du quartier de Belouizdad, où plusieurs constructions ont été démolies ces deux dernières années.Son voisin préfère la dérision. Il évoquera la cherté des matériaux de construction. «Je ne vois pas comment ils réussiront à construire autant de logements avec du ciment à plus de 800 dinars le sac», dit-il.Aujourd'hui, la bâtisse d'en face a été démolie. Le terrain sert actuellement de parking que s'est approprié un groupe de jeunes qui gagnent leur «tchipa» quotidienne. La bâtisse qui est encore debout de l'autre côté ne se porte pas mieux. «Ses jours sont comptés», lance le buraliste du coin. «Les services techniques de la commune sont venus récemment inspecter la bâtisse. On ignore pour l'heure s'ils ont décidé de la démolir ou de la restaurer», indique un habitant de l'immeuble. Il faut relever que la non-prise en charge du vieux bâti n'a pas été sans conséquence sur la question du relogement notamment dans les grandes villes du pays où la demande ne cesse de croître. Car les bâtisses qui n'ont pas été restaurées donnent inévitablement naissance à de nouvelles candidatures au relogement. Ce qui complique davantage l'opération. Dit autrement, le parc immobilier s'avérera toujours difficile à accomplir tant que ce qui existe déjà n'a pas été préservé. Il y a ainsi prolifération de la demande. Des professionnels du secteur évoquent, de leur côté, des lenteurs administratives dans le processus de restauration ou de construction de logements. La responsabilité demeure néanmoins diluée. Ce qui se répercute sur le rythme et le volume des réalisations. Le premier responsable du secteur ne manque pas d'occasions pour adresser des mises au point aux acteurs concernés. Les bureaux d'études sont manifestement pointés du doigt. «Les bureaux d'études doivent s'inscrire dans une logique de développement et non dans celle de la sous-existence», avertit le ministre, qui fustige «le carcan dans lequel évoluent les bureaux d'études. Il y a nécessité de revisiter les dispositifs et les instruments qui encadrent et organisent le développement et la gestion du cadre urbain afin de les conformer à ces exigences», dira-t-il. Ne perdons pas de vue qu'entre le discours officiel et la réalité -souvent amère- l'écart est immense. Les dirigeants ont beau se montrer intransigeants, exigeants, le résultat est souvent en deçà des attentes. Le bilan de la restauration est manifestement décevant. Il risque de l'être davantage si le gouvernement se contente de demi-mesures pour une question aussi sensible que la restauration du vieux bâti.M. Lakhdar Khaldoun, ingénieur consultant, spécialiste en aménagement urbain et industriel, infrastructures, habitat et environnement, a souligné, à l'occasion d'un débat sur la problématique du vieux bâti en Algérie, que le parc immobilier a rapidement vieilli. Des bâtisses construites dans les années 70, note-t-il, sont dans un état de vieillissement avancé. Il est vrai qu'une construction a une durée de vie limitée dans le temps, mais il est également essentiel de la faire durer le plus longtemps possible en assurant son entretien.M. Khaldoun cite le cas d'un pays comme la France où 50% du marché de la construction va à la restauration du bâti ancien. Dans la restauration, il y a l'acte de réhabilitation qui est d'une grande importance. Il y a aussi un préalable : l'autorité de l'Etat doit s'exercer. Il faut aussi avoir un parc d'entreprises spécialisées, dresser un bon diagnostic et faire une bonne analyse avant d'engager une véritable opération de réhabilitation et de restauration. Il s'agit en vérité d'un investissement nécessaire qui implique l'intervention de l'Etat. «Ce qui revient au privé doit être pris en charge par celui-ci, car la collectivité nationale n'a pas à supporter un coût qu'il ne lui revient pas d'assurer», a-t-il soutenu. Nul doute que chacune des phases qui concerne l'habitat a ses propres conditions. Réaliser en masse est une tâche difficile à accomplir là où la bureaucratie impose ses règles. Bâtir dans les meilleurs délais est une chimère… algérienne. Construire à moindre coût et dans le respect de la qualité est un véritable programme électoral.Le chantier compte plusieurs acteurs et intermédiaires et il est difficile de maîtriser le secteur par les pouvoirs publics, y compris quand la volonté ne manque pas. Les grosses sommes d'argent que génère le secteur de l'immobilier n'ont pas manqué d'attirer investisseurs et promoteurs. Mais les problèmes demeurent posés. Le vieux bâti est une phase de la problématique de l'habitat en Algérie. Incontestablement, la question n'a pas bénéficié de la prise en charge qu'elle mérite.