Dans cet entretien, Mohamed Balhi, directeur des éditions de l'Anep, auteur et ancien journaliste, nous parle des éditions en Algérie, du lectorat algérien, de l'impact de l'internet et du salon international du livre d'Alger (Sila). Le Temps d'Algérie : Nous avons constaté que l'Anep est beaucoup plus orientée dans l'édition de livres d'histoire, est-ce un choix ? Mohamed Balhi : Ce n'est pas une orientation, mais plutôt un créneau qu'il fallait occuper, parce qu'il existe une forte demande de livres sur l'histoire contemporaine de l'Algérie. C'est pour cette raison que l'Anep s'est inscrite dans cette tendance d'autant plus que des personnalités de premier plan écrivent des livres-témoignages. Les gens acceptent de parler, c'est une aubaine pour les éditeurs algériens. C'est en ce sens que l'Anep est fière d'avoir édité des livres sur l'émir Abdelkader, Ferhat Abbès, Messali El Hadj, Malek Benabi, Cheikh Ben Badis… Et c'est ainsi qu'on va valoriser le patrimoine national. L'Algérie a connu une colonisation de peuplement et aujourd'hui le citoyen ne connaît pas grand-chose sur l'histoire de son pays. Peu de choses sont écrites sur l'émir Abdelkader, Lamine Debaghine, Ferhat Abbès… Il faut aussi revenir à l'histoire avec un regard serein et non complaisant. Nous assistons actuellement à une réédition d'ouvrages écrits durant la période coloniale et qui ne sont pas accompagnés de notes critiques, là je dis attention ! L'historien Mohamed Chérif Sahli avait publié son essai Décoloniser l'histoire pour justement avertir des méfaits du regard des autres. Les algériens doivent écrire l'histoire de leur pays et c'est possible maintenant. Quelle est la moyenne des livres que vous publiez par an ? Pour 2009-2010, nous avons réédité 106 titres. Nous réalisons une moyenne de 50 livres par an. On donne également une grande importance à l'enfance et à la jeunesse, c'est ce qui nous pousse à éditer des livres scientifiques et didactiques. On veut acheter des droits de réédition, pour les rendre moins chers, mais nombre d'éditeurs étrangers préfèrent vendre directement ces livres par importateurs interposés. Que pensez-vous de la traduction en Algérie ? Concernant la traduction de livres, l'Etat a un grand rôle à jouer. Il est nécessaire aussi que des ouvrages d'auteurs algériens soient traduits dans d'autres langues. Les principaux points liés à l'édition sont à mon avis les suivants : les cessions des droits et la traduction d'ouvrages sans passer par des intermédiaires. Pouvez-vous nous donner votre avis sur le salon international du livre d'Alger qui aura lieu prochainement sur l'esplanade du 5 juillet ? Le Sila est une manifestation culturelle importante, qu'il faut développer car elle permet aux élites de se rencontrer et aux lecteurs de s'approvisionner de nouveaux ouvrages. Elle permettra également de donner une belle image de l'Algérie. L'Anep accorde une grande importance au Sila et elle sera présente avec des ouvrages de qualité. Parmi ces livres on peut citer celui de Bheidja Rahal qui sera accompagné d'un DVD, d'un livre sur le fabuleux parcours de Morsli, la traduction d'un livre de Tahar Z'biri, beaucoup de livres de contes pour enfants et des ouvrages sur l'histoire de l'Algérie. Ne pensez-vous pas que les gens lisent de moins en moins ? Evidemment avec internet, le lectorat a diminué dans le monde et en Algérie n'en parlons pas. C'est à la maternité qu'on apprend à l'enfant à découvrir son environnement, une fois qu'il aura acquis son autonomie en ouvrant un livre, il prendra l'habitude à aimer le livre. Il y a trente ans, les gens lisaient dans les bibliothèques communales, dans les lycées, les étagères dans les salles de classe étaient pleines d'ouvrages. Il faut aussi que l'enfant trouve des livres «sur tout ce qui bouge». Il y a plusieurs raisons qui ont fait que les gens lisent moins que dans le passé. Aussi parce que le livre n'est pas subventionné et le pouvoir d'achat a baissé, mais ce n'est pas la vraie raison. Quant à l'utilisation d'internet, elle peut être un complément, mais elle ne peut pas se substituer au livre. On remarque que l'enfant apprend à copier, à être un partisan du moindre effort. Aux Etats-Unis lorsqu'un élève remet sa copie, le professeur la passe dans un logiciel pour vérification. Il est nécessaire d'apprendre à l'enfant à réfléchir et à se documenter mais pas à faire du copier/coller. Pour cela il faut encourager les clubs de lecture. l'Anep a animé des soirées culturelles durant le mois de ramadhan précédent, dans quel but ? Nous avons animé des activités culturelles durant le mois du ramadhan dans notre librairie Rachidia pour rapprocher les auteurs de leurs lecteurs et encourager les gens à sortir la nuit. Nous avons une capitale qui fonctionne comme un douar où tout est fermé avant la tombée de la nuit. Pourtant c'est à travers la culture que l'esprit s'épanouit. Même les musées et autres établissements culturels sont fermés le week-end, que dirons-nous alors de nos villages ? La désaffection vis-à-vis du livre nous pousse à devenir des consommateurs passifs et à travers le «chat» on crée des harraga virtuels. C'est à travers le livre, le théâtre, le cinéma, la musique, la peinture que les esprits se développent et s'épanouissent. Quelqu'un qui ne s'est pas nourri de culture, même quand il occupe une haute fonction se comportera comme un robot et lorsqu'on est un consommateur passif, on peut accepter n'importe quelle fetwa. Celui qui a lu les grandes œuvres, celles de Socrate, d'Ibn El Arabi, d'Ibn Hasim, de Mohamed Arkoun et d'autres illustres penseurs est immunisé. C'est pour cela qu'on devrait revenir à nos repères, à l'âge d'or de l'islam, par exemple. Aussi, nous avons un beau pays, il faut le mettre en valeur par de beaux textes, donc de beaux livres. On devrait arriver à ce que le livre soit offert comme cadeau, c'est en ce sens qu'il faut développer la mentalité du plaisir d'acheter et d'offrir des livres. Les écoles devraient récompenser les meilleurs élèves en leur offrant des ouvrages de qualité. Entretien réalisé par Belkacem Rouache