Des familles des victimes de l'attentat de Karachi en 2002 demandent à la justice l'audition comme témoins de Nicolas Sarkozy, de son prédécesseur Jacques Chirac et de l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin. Cette demande, qui sera déposée auprès du juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke, est la conséquence de la déposition de l'ancien ministre de la Défense Charles Millon, ont déclaré jeudi les porte-parole des victimes et leurs avocats. Cette déposition nourrit l'hypothèse qu'une affaire de corruption lors de la campagne présidentielle de 1995, susceptible d'impliquer Nicolas Sarkozy, est liée à l'attentat qui avait provoqué la mort de 11 Français à Karachi. Si l'audition de Nicolas Sarkozy, potentiellement impliqué comme ministre du Budget et porte-parole du candidat Edouard Balladur en 1995, sera vraisemblablement refusée pour des motifs juridiques, la démarche marque une nouvelle étape dans ce dossier très sensible pour l'Elysée. Sandrine Leclerc, porte-parole de familles de victimes de l'attentat, s'est adressée au président de la République devant la presse, rappelant qu'il avait promis d'être à leurs côtés en 2006, mais qu'il refusait maintenant de les recevoir. "Non seulement vous nous avez abandonnés mais nous nous sommes aperçus que vous nous aviez menti.. Aujourd'hui, nous vous demandons des comptes, vous nous devez la vérité, vous ne pouvez plus continuer à mentir de la sorte", a-t-elle dit. L'Elysée ne fait pas de commentaires, a dit l'entourage du chef de l'Etat. Nicolas Sarkozy a qualifié publiquement de "fable" l'hypothèse d'un lien entre l'attentat et une affaire de corruption, dont il conteste l'existence. "Sur cette affaire elle-même, je ne connais pas le détail, je n'en connais pas plus que vous", a déclaré jeudi sur RTL le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux. "Sinon, c'est clair, cette affaire sera à Nicolas Sarkozy ce que fut l'affaire des diamants à Valéry Giscard d'Estaing", a-t-il déclaré sur France Info en allusion aux dons de pierres précieuses de l'ancien empereur centrafricain Jean-Bedel Bokassa à l'ex-président français, dont l'image avait été écornée. L'attentat-suicide commis par un kamikaze à Karachi le 8 mai 2002 avait tué 11 ingénieurs et techniciens français de la Direction des constructions navales (DCN), travaillant à la construction de sous-marins pour le Pakistan. La piste islamiste évoquée initialement pour cet attentat a été abandonnée et divers renseignements, mais aucune preuve, laissent penser que l'armée pakistanaise a commandité l'attentat en représailles du non-versement d'un reliquat de commissions. Charles Millon a déclaré au juge Van Ruymbeke que les paiements avaient été interrompus sur ordre du président Chirac en 1995, après son élection, car il soupçonnait un retour d'argent en France par le biais de "rétrocommissions" pour financer la campagne de son rival en 1995, Edouard Balladur. Un rapport de police luxembourgeois versé au dossier judiciaire montre que des structures ont été constituées au moment du contrat pakistanais par la DCN au Luxembourg, avec l'aval du ministre du Budget Nicolas Sarkozy. Il s'agissait non seulement de payer les commissions au Pakistan - pratique douteuse mais légale jusqu'en 2000 - mais aussi, pensent les juges, d'organiser le retour illégal d'une partie des fonds en France. La justice a saisi des pièces du Conseil constitutionnel montrant que 13 millions de francs (deux millions d'euros) en espèces d'origine mystérieuse ont été versés dans les caisses de campagne d'Edouard Balladur, qui évoque des ventes de T-shirts pour justifier ces transferts de fonds. La Constitution semble rendre impossible une audition de Nicolas Sarkozy, puisqu'elle interdit toute poursuite ou interrogatoire du chef de l'Etat sur des faits susceptibles de le mettre en cause. Me Olivier Morice, avocat des familles de victimes, met le président au défi de se présenter. "Si Nicolas Sarkozy n'a rien à se reprocher, pour quelle raison ne répondrait-il pas à la justice en qualité de témoin, pour expliquer la 'fable' qu'il a exposée ?", a-t-il dit jeudi aux journalistes. Les dépositions de Jacques Chirac et de son ex-secrétaire général à l'Elysée Dominique de Villepin sont également sollicitées, car Charles Millon a raconté au juge que les services secrets, la DGSE, leur avaient rendu compte oralement et directement en 1995 de leur enquête sur l'affaire. La DGSE a placé sur écoutes l'entourage d'Edouard Balladur et de son ministre de la Défense François Léotard en 1995, a aussi raconté Charles Millon dans sa déposition. Jacques Chirac, Dominique de Villepin et leurs avocats ne se sont pas exprimés dans l'immédiat sur les demandes d'audition.