Depuis qu'il est entré à l'Ecole supérieure des beaux-arts de Damas, même s'il s'est intéressé à la peinture à l'huile et au décor d'intérieur, Saad Chawki a gardé intacte cette passion de la pierre, ce goût des corps harmonieux qui le pousse encore à offrir sa création, un travail acharné et passionné. Les nombreux sujets qu'il traite dans ses sculptures ne sont pas anodins, ils sont expressifs et d'une rare beauté, car il a su métisser l'art classique et l'art moderne en leur donnant une tonalité personnelle. L'expression : c'est le peuple irakien et la souffrance de l'être, car en tant qu'artiste il ne supporte pas l'injustice, l'oppression, la misère, la lâcheté humaine. L'homme, sa multiplicité, la superposition de ses vérités, de ses apparences, le désert de ses solitudes, la vanité de ses espérances, l'inquiétude de ses interrogations, l'intériorité des personnages sont si fortes que leur présence devient obsédante. Des âmes parfois dérisoires, tendres ou en colère, dont il dévoile l'errance et qui s'imposent sans pudeur dans une palette d'aplats aux couleurs contradictoires, d'immenses yeux exorbités, de tableau en tableau, les figures aux traits creusés ont un air de famille. Le silence qui les emprisonne est sans espoir mais semble sur le point de céder. Malgré leur commune incertitude identitaire, on a toujours l'impression d'avoir déjà croisé ces personnages. Parfois même, on est presque sûr de reconnaître l'un d'entre eux. Les émotions sont ses principaux vecteurs créatifs et il a à cœur de les traduire à chaud, parfois avec violence, parfois avec humour, mais toujours avec une émouvante vérité. Lorsque la tempête des injustices quotidiennes semble s'apaiser ou plutôt quand il en est las, la femme, thème privilégié, mystérieux et chargé de poésie, fait courir ses mains. «Je suis sensible à chaque bloc de pierres dans lequel j'ai voulu transposer puis arracher une idée, un mouvement, une allégorie auxquels je réfléchis depuis longtemps : une idée vous trotte dans la tête… que l'on soit sculpteur, peintre ou musicien, l'improvisation est là, de la genèse à l'éclosion de l'œuvre», dit-il. Il apporte une fraîcheur à son art La sculpture est l'art de représenter le relief. La pierre et le bois offrent à Chawki la faculté de traverser les ans, les siècles, voire les millénaires, témoignant de l'époque de son auteur et provoquant l'émotion chez celui qui les regarde et les touche. Voilà pourquoi la sculpture n'est pas anodine. Celui qui la pratique sait qu'il laisse une marque qui lui survivra. Pourtant, contrairement aux idées reçues, elle est accessible pour qui veut apprendre. Saad Chawki, durant son séjour en Algérie (il retournera en Syrie dans quelques mois), avait proposé au débutant comme au sculpteur d'apprivoiser cet art. Il a guidé certains d'entre eux dans le choix des outils et des pierres à sculpter, et leur a appris à penser et à dessiner en sculpteur, puis à modeler les maquettes préliminaires. Il nous disait que «tout artiste agissant a, dans sa mine de plomb, son pinceau, son burin, non seulement ce qui rattache son geste à son esprit, mais à sa mémoire». Le mouvement qui paraît spontané est vieux de dix ans, de trente ans. Dans l'art, tout est connaissance, labeur, patience, et ce qui peut surgir en un instant a mis des années à cheminer. L'art pour Saad Chawki est de créer une sculpture en dominant la pierre ou le bois uniquement en retranchant de la matière. Cela devient son but. En parallèle, il étudie avec ferveur les proportions des corps et l'anatomie artistique. En peinture à l'huile, Saad Chawki emprunte tous les chemins possibles pour apporter à son art une fraîcheur, une nouvelle vision de ce monde de couleurs et de formes. Un bel hommage à la nature L'artiste crée un corpus de travail de dessins et d'objets. Il veille à l'équilibre des tons, à la dégradation des couleurs et au contraste avec une grande sensibilité. Cette manière de faire rend l'œuvre plutôt fantomatique en l'absence de fond. Ce récent travail est épuré, coloré avec délicatesse, équilibré, il associe les matières dans un juste équilibre à la recherche de la perfection. Attaché à la terre, il rend à travers ses œuvres un bel hommage à la nature. Ses thèmes sont la vie, l'amour et l'harmonie entre masculin et féminin qui sous-tendent l'être. Le cœur occupe la place prépondérante dans son travail, avec ses métamorphoses. Son travail symbolise pour lui l'homme intérieur. L'abstraction abandonne d'une certaine manière tout référent en soumettant au regard un autre ordre plastique qui s'organise sur la toile elle-même, avec l'effacement de toute évocation d'un quelconque objet ou sujet, recherchant un équilibre plastique dans l'invention des formes.