Routes barrées, pneus brûlés, barricades de fortune et heurts violents avec les forces de l'ordre, la contestation des listes des bénéficiaires de logements sociaux prend souvent l'allure d'une guerre. S'estimant lésés dans leurs droits à être logés dans des conditions décentes, les «exclus» entendent, de la sorte, attirer les regards sur leur déplorable condition sociale. L'annonce du relogement des habitants de Diar Ech-Chems et des chalets de Bordj El Kiffan n'a pas été sans provoquer les habituelles réactions de désespoir des nombreux citoyens qui se considèrent exclus du bénéfice du logement social. Cette fois, c'est au tour des habitants des quartiers insalubres de Oued Ouchayeh et de l'ancienne cité de recasement de la SAS de Baraki de manifester leur colère. D'abord contre leurs élus, qu'ils considèrent peu sensibles à leur déplorable condition de parias, ensuite contre la wilaya d'Alger, qu'ils accusent de n'avoir pas prévu de programmes sociaux en leur faveur. C'est, en tout cas, l'explication qu'ils ont donnée au mouvement de protestation qu'ils ont initié depuis samedi. Les habitants de Oued Ouchayeh ont procédé, comme à l'accoutumée, à la fermeture du tunnel autoroutier reliant le Caroubier à Bachdjerrah, tandis que les protestataires de Baraki ont bloqué la route de Larbaa-Sidi Moussa-Bougara. Et, comme d'habitude, les jeunes des deux quartiers ont accueilli à coups de pierres et de projectiles hétéroclites les éléments des forces de l'ordre dépêchés sur les lieux pour parer aux débordements. Un problème de quota Pour les hommes politiques, pareilles réactions de violence ne sont pas près de s'estomper tant que l'offre de logements sociaux reste très en deçà d'une demande en perpétuelle augmentation. Djoudi Djelloul, membre influent du Parti des travailleurs, considère qu'il est temps de récupérer les centaines de milliers de logements sociaux attribués il y a des années mais qui demeurent à ce jour inoccupés. Notre interlocuteur pense que la «réattribution» de ces logements aux vrais nécessiteux peut atténuer la forte tension sur le logement social, «d'autant qu'il y a des centaines de milliers d'autres unités en construction». Sans cela, pense-t-il, «il est impossible de répondre aux centaines de milliers de demandes exprimées par les citoyens». Le responsable du PT pense qu'il est impossible, dans les conditions actuelles, de satisfaire tout le monde. «Quand vous donnez 50 ou 100 logements à une commune où il y a des milliers de demandes en attente, vous ne pouvez jamais régler la crise du logement», nous dit-il, ajoutant que «la récupération des logements sociaux fermés s'impose». «Il faut qu'elle soit lancée le plus tôt possible», conclut-il. Hadj Belarbi, militant RND et maire de Khemisti, est d'avis à ce que la distribution du logement social ou, plutôt, le tirage au sort des bénéficiaires, se fasse en public. «De cette façon, il ne peut y avoir de contestation». «Il faut aussi que les communes, en particulier celles qui n'ont pas de ressources propres, bénéficient de quotas de logements sociaux plus consistants», propose-t-il. Mouhoub Djouadi, président de l'APC de Souidania, à l'ouest d'Alger, acquiesce : «Le problème tient moins au rôle des commissions et à leur composition qu'aux faibles quotas de logements sociaux qu'on nous attribue». «Quand il y a contestation de noms sur la liste d'attribution, les commissions se déplacent sur place pour vérifier la véracité des faits». Le problème, indique M. Djouadi, est que «les quelques dizaines d'unités affectées aux APC sont plutôt sources de problèmes ". En l'espace de huit ans, nous avoue-t-il, Souidania n'a reçu que 140 logements sociaux. «A qui les attribuer, d'autant que tous les noms remis à la commission d'attribution sont méritants. Alors, malgré nous, on procède au tirage au sort». Notre interlocuteur rappelle que sa commune a vu sa population exploser, passer de 11 000 habitants en 2002 à plus de 20 000 en 2010. La demande en logements sociaux, elle, dépasse déjà les 5 000 ! Combler le déficit La situation est vécue à l'identique dans l'ensemble des communes, exception faite des régions peu peuplées du sud où le problème du logement se pose uniquement aux fonctionnaires fraîchement désignés. Dans les grandes villes où, en plus de la demande dite «normale», liée à l'accroissement naturel de la population, la question devient complexe car il faut aussi prendre en charge le relogement des familles habitant les quartiers vétustes ou les habitations précaires ainsi que les bidonvilles érigés à leur périphérie. «L'Algérie entière est concernée par le problème du logement, eu égard au déficit énorme qu'elle traîne depuis l'indépendance», nous indique de son côté Ouaddah M., économiste et président de l'association pour l'amélioration du cadre de vie et de l'environnement. «C'est ce qui explique, en partie, le programme colossal de deux millions de logements à réaliser d'ici la fin 2014», dit-il, expliquant que «l'Etat est obligé, non seulement de procéder à l'éradication du logement précaire et des bidonvilles, mais aussi de lancer des programmes de restructuration des vieilles villes, outre le rééquipement des zones rurales désertées par leurs ocupants». En somme, le tonneau des Danaïdes.