Intense au croisement de Belfort-Oued Smar, le trafic automobile était nul dans la rue Bouamama, sur les hauteurs d'El Harrach. D'habitude grouillante de monde, l'artère qui compte parmi les plus animées d'Alger était quasiment déserte ce jeudi. A l'exception de quelques groupes de riverains dont la discussion tournait, inlassablement, autour des graves événements qui s'étaient produits dans le quartier, mercredi soir et dans la matinée, les passants se comptaient sur les doigts de la main. Des automobilistes, certainement intéressés par l'achat d'un appareil téléphonique, s'arrêtent, scrutent les environs et repartent en trombe. Il n'y avait pratiquement aucun magasin ouvert, sauf quelques rares échoppes proposant des accessoires sans grande valeur. Quatre ou cinq magasins avaient le rideau à moitié baissé. Leurs occupants, blottis à l'intérieur, se préparent visiblement à quelque événement pas très réjouissant. Une vieille dame, un cliché radiologique à la main, pressait le pas pour rentrer chez elle. «Qu'ils avalent du poison», maugrée-t-elle, manifestant bruyamment sa colère contre les bandes de casseurs et les spéculateurs qui veulent «affamer le peuple». Des jeunes, regroupés au croisement de deux ruelles, acquiescent. «Que Dieu nous protège du mal», lui lance l'un d'eux. Dans les rues adjacentes, les employés des rares magasins encore ouverts se hâtent d'empaqueter la marchandise exposée en vitrine pour la charger ensuite dans les fourgonnettes garées à proximité. A l'intérieur d'une enseigne proposant des téléphones de marques coréennes, le marchand explique à ses deux clients de se décider très vite, car les bandes de voyous, qui ont déjà pillé quelques magasins la veille, rôdent aux alentours. «Le moindre petit magasin dispose d'une marchandise d'une valeur excédant les 5 à 6 millions DA», nous confie-t-il, exprimant ainsi la peur panique qui s'est emparée des propriétaires des lieux. Vent de panique Plus bas, les grossistes en produits alimentaires, bonbons et autres friandises, ont fait de même. Tous redoutent d'être pris pour cible par les «aâraya» (les va nu-pieds, ndlr) qui se font de plus en plus audacieux. «Ce matin, ils ont agressé un automobiliste à coups d'épée», nous dit le propriétaire d'un magasin faisant dans le commerce de demi-gros de biscuits secs et gaufrettes. Lui aussi est angoissé à l'idée d'affronter la horde des pilleurs. Au cœur d'El Harrach, la tension est partout perceptible. La plupart des magasins sont fermés. Un camion anti-incendie de la Protection civile est rangé devant le siège de la mairie. Il y a très peu de monde au marché couvert. Trois véhicules de police sont postés au milieu de la rue Tabount Belkacem qui longe l'oued. Dans le parking intérieur du commissariat, nous remarquons au moins 7 camions des forces anti-émeutes. Les policiers se font discrets, les uns assurent la circulation, les autres sont positionnés aux alentours des édifices publics, le tribunal et la gare, notamment. Le calme règne, certes, mais l'ambiance est électrique, comme si tout El Harrach s'attend à la survenue de graves événements. C'est le sentiment que l'on éprouve également en foulant les rues du quartier populaire de Belcourt. La quasi-totalité des commerces a fermé. Le long de la rue Belouizdad, des ferronniers s'affairent à consolider les rideaux métalliques de quelques magasins. Pas très loin du ministère du Travail, on nous rapporte que plusieurs magasins ont été éventrés la veille. Un vendeur de produits électroniques a reçu la visite nocturne des pillards. Le rideau a été arraché à coups de burin, dit-on. Toute la marchandise a été emportée. Un vent de panique s'est emparé de tous les marchands d'objets de valeur qui ont décidé de vider leurs magasins. Dans les ruelles perpendiculaires où, d'habitude, l'animation est à son comble durant la journée de jeudi, c'est la désolation. Seuls quelques marchands de fruits et légumes continuent de braver le sort…